Blood Hunt : Torn Curtain


Anniversaire en enfer, reformulation et action, triviale virée sentimentale.  


Premier film – comprendre long métrage, malgré sa brièveté – du juvénile Sam Curtain, ce survival australien assez sympathique se suit sans déplaisir, même si, assurément, il ne vous incitera pas à prendre vos vacances du côté de Cambrera, oui-da. SC cumule les postes, notamment producteur, monteur, scénariste et costumier, alors que la Tasmanie accumule les manies, la folie : une future étudiante et son compagnon a priori prolétaire, au blouson fluorescent de sécurité, tombent sur trois redoutables lascars qui vont leur faire passer un rude et Long Weekend, à l’australienne, renvoyons vers le tandem homonyme, écologique, eschatologique, signé Colin Eggleston en 1978 puis Jamie Blanks en 1998. L’agressivité de la ruralité, on (re)connaît, avec ou sans duo au banjo et sodo homo. Curtain adresse d’ailleurs un clin d’œil sonore à Délivrance (John Boorman, 1972) durant le générique de fin, assorti d’un air guilleret exécuté par le même instrument clément ou dément. Thème et variation, donc ; si Blood Hunt (2015) ne réserve en définitive aucune surprise, il manifeste constamment une réelle maîtrise. Le réalisateur, en famille, entre amis, trousse son récit à l’énergie, à la parcimonie. Quand on ne possède pas d’argent, il faut déployer du talent, une expression efficace, pensée en amont ou inspirée sur place. Les cadres serrés congédient l’espace et piègent les personnages, un seul plan panoramique avec voiture et cadavre souligne l’indifférence de la nature à la souffrance (in)humaine, tandis que quatre plans en drone, deux en mouvement, deux immobiles, cartographient l’épouvantable échiquier sur lequel la main du destin déplace de pauvres pions en rémission, en sursis. « Pourquoi ? » demande Claire en pleine panique, ligotée sous une bâche ensoleillée. L’absurdité de l’insanité se passe d’explications, de commentaires, elle s’expérimente, impitoyable.

Queneau se moquait de la connerie des supposés grands sentiments, la corrigeait par l’humour, certains usent de l’hémoglobine, à l’instar de notre convaincant débutant. Porté par un joli couple de cinéma venu de la TV, Kahli Williams & Dean Kirkright, ce film d’amour et de massacre porte les oripeaux du rape and revenge, du torture porn et autres dénominations à la gomme, savourez en sus le fumet white trash. Claire veut des enfants, veut partir pour le Queensland et son université sélective. Par SMS, sa mère lui souhaite curieusement bonne chance pour ce congé de fin de semaine, terminologie canadienne. L’incipit de l’opus, POV de victime en noir et blanc, donne le ton et se lit doublement, à la fois comme un épisode passé, extrait du présent immanent de la diégèse comportementaliste, une profanation supplémentaire, viol avec violence puisque coup de poing au visage, et le sinistre présage de ce qui adviendra vite, l’héroïne endormie, réveillée par son réveil à six heures du matin, rêvant peut-être à son proche trépas. Ensuite, Dean et sa copine rencontrent le cruel Knuck, auquel le polyvalent Thomas Roach prête son crâne coiffé à l’Iroquois et sa misogynie-homophobie discrètement gay, cf. sa proximité avec le pendu, fumée de cigarette soufflée en substitut de baiser. Bagnole en panne et ferme à l’abandon, aux carcasses de caisses cassées à la con, à profusion – le colosse Heath va pouvoir assouvir ses pulsions par derrière sur la suffoquée, sidérée Claire. Outre se garder d’exploiter son actrice sise en situation délicate, ingrate, Sam Curtain met le spectateur en abyme via Dean, contraint de subir le martyre de son amoureuse, voyeur impuissant et pleurant. Plus tard, lorsqu’il fracasse la tête du troisième assaillant à coup de portière, semblable instant de grâce se reproduit, abstraction picturale écarlate sur le pare-brise. Quant au couteau qui menaçait de pénétrer l’intimité de l’énamourée, il finira dans les testicules minuscules, le ventre gras et la tronche vide du sodomite à la course poussive.



Signalons que le leader succombe à son tour, la face défigurée au moyen d’une lourde clé de mécanicien et sa panse éventrée placée à la verticale. Raconté ainsi, Blood Hunt paraît très brutal, voire élémentaire, à peine préoccupé de justifier son titre explicite de chasse dégueulasse, pléonasme, et de faire déborder le maigre budget en kilolitres de gore, de liquide frais judicieusement déployé, utilisé par la guère malicieuse maquilleuse Melanie Cooper. En réalité, cet essai à recommander, à recommencer/améliorer, n’oublie jamais les fondements mélodramatiques de l’imagerie horrifique, sait en saisir la subtile mélancolie, et la bonne BO de l’acteur-compositeur Matt Rudduck, impressionniste, atmosphérique, percussive et in fine mélodique, se caractérise aussi par ses accents mineurs de requiem, de tristesse immersive. Survivant navrant, justicier endeuillé, Dean se tient à l’extrême gauche de l’ultime plan, cadrage étymologiquement sinistre qui le décentre visuellement et du même élan le met au ban de la communauté, de l’humanité, leçon nietzschéenne de l’abîme en miroir, de la proie piètrement prédatrice. Comme tout film dit d’horreur réussi, Blood Hunt balise les ténèbres, ici diurnes, et les éclaire de ce qui compte, valeurs du cœur, de la sueur, avilies par ce qui nous définit idem, réservoir sans fond de la haine, de la bêtise, du sadisme, de la médiocrité marginale, à la périphérie de la ville, de ses lois, de son confort rassurant, routinier. Pour résumer, le métrage élimine ses protagonistes et donne pourtant au cinéphile envie de vivre, de fuir le pire, de se débarrasser de son animosité, par exemple pied au plancher pendant la remarquable scène de poursuite automobile, modèle de découpage et de minutage. La catharsis s’effectue, la purgation des pénibles passions s’accomplit, la terreur et la pitié remplissent le témoin du spectacle point malsain, mortifère, au contraire entreprise amicale et paritaire incitant au respect, à l’entente, à la tendresse, au cours d’une randonnée expédiée, guéri de la rancœur d’un exil programmé. Une fois filmées, les atrocités en série se transmuent en beauté adulte.

Pour enfin savoir ce que l’on vaut, ce que l’on peut dépasser, ce qui vaut la peine de périr, de ne pas fléchir, faut-il en passer par là, par cet argument outrageant et sanglant ? Pas nécessairement, l’existence (vous) réservant des événements davantage éprouvants, soustraits de la moindre sublimation, graphique et esthétique. Cependant, Curtain et sa troupe peu pirandellienne font mieux que délivrer un avatar intelligent, intéressant, du mémorable Wolf Creek (McLean, 2005), désormais délesté de sa caution vénère de fait divers. Avec son générique évocateur, son errance provinciale prémonitoire, son motel désert plutôt que lascif, sa station-service fatidique, Blood Hunt s’avère un vrai film de fantômes, la chronique d’une mort multiple annoncée, capturée au plus près des corps par une caméra portée vaccinée contre le mal de mer et remplie de précision, de puissance, d’empathie. Claire, à terre, agonise, mortellement touchée par le fusil à lunette du rouquin luciférien, son agonie se pare sur la bande-son – sound design dû à une seconde femme, Nayomi Pattuwage – d’un vent éloquent. Ce petit film modeste, mature, trouve dans un tel sens du détail sa propre poésie, sa grandeur de malheur et son vif appétit de survie.

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