Les Ailes de la victoire : Looking for Eric
Prier pour ses ennemis ? Pardonner un péché de ciné.
Ce mélodrame martial clairement
anémié, à l’image du personnage principal, représente un triple intérêt.
D’abord, il témoigne de la mondialisation du cinéma, phénomène pérenne
aujourd’hui redéfini par l’hégémonie de l’économie de marché. Exit, « Hollywood sur
Tibre » ; fini, le temps d’artisan des co-productions européennes,
par exemple entre la France et l’Italie ; adieu aux délocalisations d’un
Samuel Bronston, parti jadis bâtir des châteaux, pardon, des studios, en
Espagne. Désormais, sur l’échiquier de l’art industriel, l’Asie et les
États-Unis se livrent une partie placide, de complicité rémunérée. La Warner et
compagnie(s) ne l’ignorent plus : le soleil se lève à l’Est, c’est-à-dire
en Orient, terre d’opportunités pour investisseurs étrangers, alléchés par le
nombre de spectateurs potentiels indigènes, auxquels un niveau de vie revu à la
hausse permet d’accéder à des salles ouvertes sur l’international, elles-mêmes
en plein développement. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes
épiciers, tant pis pour le terrorisme rampant et les migrants humides. Produit
américain, chinois et hongkongais, Les Ailes de la victoire (2017) atteste
aussi de l’émergence d’une imagerie pétrie de prosélytisme. Joseph Fiennes,
récemment centurion promis à la conversion selon La Résurrection du Christ
(Reynolds, 2016), interprète ici Eric Liddell, coureur olympique écossais né en
Chine, naguère immortalisé au ralenti, sur les sucreries synthétiques de
Vangelis, par Hugh Hudson à l’occasion des Chariots de feu (1981). La
biographie rejoint l’hagiographie et la foi, à défaut de déplacer des montagnes
garnies de rizières, aide à remporter une course humanitaire, solidaire,
enthousiasme hélas refroidi par un putain de capitaine japonais, pourtant
pragmatique mais emporté par sa rancœur patriotique.
Le petit porteur de victuailles, de
médicaments, orphelin flanqué d’un oncle adoptif à vélo, ave au Voleur de bicyclette (De Sica, 1948), finira grillé au sommet
d’une clôture électrifiée, martyre en rime à celui d’Emmanuelle Riva dans le
polémique Kapo (Pontecorvo, 1960), sa dépouille condamnée par ordre obscène
à une immobilité hebdomadaire, chiffre foutrement biblique. Par deux fois, une
lumière magnanime, sinon divine, éclaire le visage stoïque, pathétique, du bien
nommé Joseph, et le message œcuménique, explicite, évoque en écho le sermon
assez con de Paul, Apôtre du Christ (Hyatt, 2018), le conflit de 1937
aussitôt substitué à la Rome chrétienne, amen.
On notera toutefois un honorable rééquilibrage de la caricature, via une double poignée de mains en effet
sportive et la tentative appréciable d’un garde nippon pour sauver le miston.
Enfin, au creux du pudding insipide, désincarné,
soigné, sorte de fresque historique en huis clos de camp d’internement à la
devise ironique, présage de celle d’Auschwitz, récit assoupi des souvenirs d’un
chauffeur magouilleur, in fine
convaincu de la validité, de la beauté des idées de la religion à la croix,
Liddell dépeint en ersatz cancéreux du messie sémite, on trouve un plan bref et
cependant empreint d’une grâce tout asiatique, quand l’instituteur altruiste, mari
admirable et père irréprochable, accessoirement missionnaire et prêtre de remplacement, fait
tomber, pendant la classe en plein air, austère, sur une feuille d’arbre automnale,
une goutte de son sang sombre, symptôme cinégénique et organique de la tumeur
cérébrale qui l’emportera, quelques mois avant la reddition des troupes
impériales, bad timing à la Anne
Frank.
Certes, sur une durée de
quatre-vingt-seize minutes consensuelles, convenues, inoffensives et sans
souffle, Lean (Le Pont de la rivière Kwaï, 1957) peut reposer en paix,
Spielberg (Empire du soleil, 1987) peut dormir sur son lit de dollars, cela ne fait pas le poids, et
l’évocation de saison, à force de vouloir ne heurter quiconque, en vient vite
par ne plus s’adresser à personne. Les cinéphiles, épris de sprint ou point, se consoleront avec le
beau Gallipoli
(1981) de Peter Weir, loué par votre serviteur, autre opus chronologique et physique, d’une autre trempe et d’un
continent différent. Sinon, Stephen Shin, épaulé par le producteur et
co-réalisateur canadien Michael Parker, secondé par le DP de Johnnie To, Cheng
Siu-keung, par le art director/production designer de Fist
of Legend (Gordon Chan, 1994), des Nuits rouges du bourreau de jade
(Julien Carbon & Laurent Courtiaud, 2010) et de The Crossing (John Woo, 2015),
Horace Ma, vient de HK, co-produisit The Assassin (2015) de Hou
Hsiao-hsien et n’hésite pas, à l’instar de Hitchcock (Agent secret, 1936) ou De
Palma (Les Incorruptibles, 1987), à filmer des explosions infantiles,
au propre, au figuré. Ceci nous le rendrait presque sympathique, puisque rétif
au politiquement correct ; ça ne saurait suffire, of course, à le transformer en cinéaste et moins encore en
historien. Doté d’une BO à déconseiller aux diabétiques, voire aux mélomanes, On
Wings of Eagles, intitulé The Last Race près de Pékin, sortira
le 14 juillet… au Japon. Eric Liddell, ou plutôt sa persona pasteurisée, in extremis ressuscitée avec le gosse
souriant, continue quant à lui à courir dans l’éternité amnésique et
révisionniste du cinéma, royaume des morts-vivants sans cesse renaissants et
des vaincus voués à être victorieux car visionnés, voui.
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