The Hollow Child : Sam, je suis Sam
Des bois, du désarroi, des frissons, de l’émotion – cinéma de maintenant,
à saluer.
On sait depuis M le maudit (Fritz Lang,
1931) ce que signifie perdre un enfant à l’écran ; on découvrit avec Simetierre,
le livre (Stephen King, 1983) + le film (Mary Lambert, 1989), qu’il peut
exister pire que cette perte, que le parent survivant, ordre du monde renversé,
le père enterrant le fils, doit désormais affronter ce qui remplace le disparu,
se substitue à lui, changeling des
contes anglo-saxons ou mort-vivant juvénile (avant épouse putréfiée) selon
l’auteur majeur de Pet Sematary. Oublions vite l’homme homonyme de Paul Verhoeven
(Hollow Man, 2000), relecture laborieuse, en effet creuse, de L’Homme invisible
de Herbert George Wells (1897), malgré son évocateur écorché, en dépit de la
chère Elisabeth Shue, et penchons-nous sur le vide infantile, au sens fort, du
titre. Olivia disparaît donc dans une forêt, tandis que Sam, sa sœur adoptive,
plus âgée, fume un joint roulé de ses mains en compagnie de sa compagne de
foyer. Sur ses membres, des cicatrices d’automutilation. Dans son cœur, l’âcre
goût du malheur, puisqu’elle ne parvint à sauver sa sister (d’infortune) d’une mère littéralement démissionnaire, du
domicile d’agonie. Samantha ne se soucie pas d’Olivia, la surnomme la mioche (squirt en VO, en écho incongru à la
pratique humide du X pareillement dénommée), elle sait ne pas appartenir à la famille
croyante, clémente, et son père putatif, strict plutôt que salaud, le lui fait
bien comprendre. La disparition se situe à proximité de la maison, pendant la
fête de Halloween. Aucun folklore ici, aucun clin d’œil à John Carpenter, sinon à
l’occasion du score synthétique, signé
David Parfit, et encore. Ce film endeuillé, finalement, ne pouvait pas se
dérouler à un autre moment (de l’année).
Avant de s’évanouir au creux des
ténèbres, la gosse dessina pour Sam un pastel qui les représente en fées, en
train de voler, et The Hollow Child (2017) renoue avec les œufs pascals colorés de
La Cicatrice (Bruce Lowery, 1960), crève-cœur à la thématique harmonique. On
n’aime que trop tard, on ne se rend compte qu’après, une fois l’irréversible
survenu, combien on vous aimait, de façon totalement désintéressée, avec toutes
vos petitesses et vos faiblesses. Ce courant poignant, prégnant, le film
parvient à le saisir, à le faire ressentir, et sa mélancolie adolescente,
adulte, canadienne, occidentale, semble résonner avec les vocalises des sirènes
malsaines, variante vocale de la flûte funeste du fameux joueur de Hamelin.
Puis Olivia revient, son corps retrouve le décor, louons le Seigneur d’avoir
entendu nos prières, d’y avoir répondu sans tarder. Hélas, Sam s’en aperçoit la
première, quelque chose cloche avec la caboche de l’égarée, un chien, un
béguin, l’amie précitée, une victime aujourd’hui quadragénaire, tous en feront
les frais, finiront au frais, les yeux arrachés. Car la créature impure,
envieuse, qui possède sa propre mythologie résumée, constitue en outre un motif
méta, annoncé dès le prologue de cache-cache fatidique, point ludique. Afin de
débusquer son antre, Sam devra se bander les yeux, guidée par une âme perdue
précédemment piégée. Un regard « enflammé », vous verrez, suffira
pour succomber, pour venger les peluches aux orbites énucléés (à la Alfred
Hitchcock des Oiseaux, 1963). La famille d’accueil devra voir au-delà des
apparences de délinquance, sous le masque vert offert, la libération de la
véritable Olivia provoquant la révélation du vrai visage de la voleuse hideuse.
Film sur la foi, sur autrui et en
soi, dans un fantastique dramatique, débarrassé des farces et attrapes
régressives, film sur les liens familiaux à recomposer, à décomposer, avec
lesquels composer, The Hollow Child suit la métamorphose d’une jeune fille en
jeune femme, nouvelle Alice de Lewis glissée dans un orifice sous la souche, et
ressortie de la matrice mortelle enfin telle qu’en elle-même l’épreuve la
change, la fait grandir et vieillir, souffrir, presque mourir. La renaissance (sa
seconde chance) de Sam s’appelle Samantha et l’enfant vide de l’intitulé la
désignait idem, être cassé à
l’intérieur, déjà démoli par le passé, la culpabilité, la nécessité de
s’infliger des insanités corporelles à la David Cronenberg, notoire compatriote, à
l’instar des brûlures impressionnantes sur les bras de l’incendiaire Alison,
pas si folle que cela, promise à périr dans le plan mais hors-champ, son cri
primal, final, poursuivant Sam. La forêt, remarquablement éclairée par les
frérots Graham & Nelson Talbot, respire, conspire, rappelle la verticalité
du Patrice Chéreau de La Reine Margot (1994), sans sa
picturalité référentielle. Au niveau des références, le cinéphile songera bien
sûr à Opération peur (Mario Bava, 1966), à La Nurse (William Friedkin,
1990), à Esther (Jaume Collet-Serra, 2009), beau trio célébré par mes
soins, à l’univers du regretté John Hughes, pour les portraits croisés
d’adolescents (de parents) dépourvus de démagogie, de mépris, de manichéisme,
de jeunisme, de crétinisme. Cependant les correspondances n’épuisent pas le
sujet, l’intensité, la beauté blessée de The Hollow Child, enfant pleinement
satisfaisant d’un tandem de débutants
locaux, Ben Rollo au scénario et Jeremy Lutter à la réalisation.
Soulignons le ciel constamment
couvert au-dessus des « environs de Vancouver » et les multiples
productrices d’un ouvrage en partie rendu possible par le financement
participatif (même le compositeur s’y colla). Il s’agit bel et bien d’un film
féminin, par son héroïne, par sa résilience, par sa grotte utérine mentionnée supra (cf. en parallèle The
Descent,
Neil Marshall, 2005, et son casting
de « deuxième sexe »). Outre un sens de la composition des cadres
justifiant l’usage du Scope, souvent alibi de téléfilm nanti, le premier long
métrage du sieur Lutter permet de découvrir Jessica McLeod, actrice primée à
peine plus vieille que son personnage de lycéenne guère sereine, dont la
blondeur, la fièvre intérieure, la fragilité farouche, nous évoquent Sondra Locke
dans Sudden
Impact (Clint Eastwood, 1983), similaire histoire de sœurs et d’identité
volée, alors violée (le reste de la distribution ne démérite pas, mentions spéciales
à la petiote Hannah Cheramy et à sa mère au cinéma, Jana Mitsoula). Si Sam ne
sut sauver Grace, fantôme d’enfance, si elle échoue à protéger Emily (la scène
du baiser entre filles constitue un instant surprenant de grâce pudique, pas
érotique), elle termine son odyssée intime au foyer retrouvé, ressoudé, la minote
sur le seuil du sommeil dans ses bras, quand soudain surgit sur la bande-son,
en guise de berceuse, les notes hypnotiques de kidnapping.
À l’ultime plan, tétanisée, Samantha nous adresse un regard caméra, manière de
renvoyer le spectateur vers sa propre monstruosité, d’aviser en face,
au miroir invisible, les monstres éternels du réel : la Grâce demeure une
éventualité, le Mal une certitude et le Bien un défi, oui.
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