Pandora : Quelque part dans le temps
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre d’Albert
Lewin.
Demoiselle de Magdala ou Miss Reynolds, la foi demeure un motif
fondamental de Pandora, film admirable, étonnamment amusant, qui repose en
partie sur l’idée discutable, sinon détestable, de Sacrifice, marotte
romantique, patriotique, de messie christique et de kamikazes asiatiques. Ava Gardner, à l’instar de Clark Gable, à tort, ne s’adouba jamais véritable
actrice, et dans ses mémoires lapidaires, elle ne s’attarde guère à propos de Pandora,
sinon pour souligner qu’il changea sa vie… en lui faisant découvrir l’Espagne,
cela et rien de plus, comme dirait le corbeau de Monsieur Poe. Cependant, elle
dut croire en son talent, au film d’Albert Lewin,
réalisateur-scénariste-producteur qui en retour crut en la star, sut à la fois la diviniser, la rendre humaine. Notre
cinéaste, aussi raffiné que Mankiewicz & Minnelli, moins sarcastique que le
premier, mélodramatique que le second, filme une histoire d’amour s’autorisant
l’humour. Face au poète épris de sa pinte, au pilote qui rote, au matador
freudien, la chanteuse malheureuse et furieuse, furieuse parce que malheureuse,
aspire à mourir, de préférence entre les bras et la nasse d’un navigateur damné
pour avoir poignardé sa belle crue infidèle. James Mason, à la présence hamlétique,
hypnotique, mélancolique, aux dents, en gros plan, peu soignées, eh ouais,
touche de touchante trivialité en rime avec l’imprévu nécessaire afin d’animer
le tableau, dixit le peintre à la De
Chirico, campe un cousin du capitaine Nemo (cf. Vingt mille lieues sous les mers,
Richard Fleischer, 1954), enfin délesté de son nihilisme sous-marin. Ce beau
couple de cinéma, élu et adulte, se rencontre parmi un îlot d’oisifs que Lewin
saisit avec malice, où les membres du « petit personnel », disent
ceux qui les emploient, boivent du thé, mangent des sandwiches. Quand on ne travaille pas, on peut passer son temps à
marivauder, pas vrai ?
Outre dialoguer avec Une
question de vie ou de mort (Powell & Pressburger, 1976) et Sueurs
froides (Hitchcock, 1958), pour des raisons de saison sur lesquelles je
ne reviens pas, vers lesquelles je renvoie le lecteur, Pandora (1951) propose
par conséquent des portraits d’hommes confrontés à une certaine féminité,
soleil noir pour satellites volontairement asservis. Le bolide porte le prénom
de la muse et peut-être le taureau fatal itou, allez savoir. Présentée de
profil, humide et mouillée, en peignoir et dédoublée, Pandora présage
Madeline/Judy et le glas à la Hemingway sonne idem pour elle, dénué de nonne. Aimer par-delà le Temps qui détruit
tout, nargue Noé, qui s’éternise autant que l’Enfer itératif ? Hendrik et
sa nageuse nocturne y parviennent au prix de la vie, d’un envoûtement
désenvoûtant, d’un sablier brisé. Regard caméra, récit dans le récit, mises en
abyme du spectateur en mélomane aviné, fasciné, du réalisateur en archéologue
moraliste, pas moralisateur, moments rosselliniens de pêche ou de danse, Lewin
ose et réussit tout, bien épaulé par le DP Jack Cardiff, collaborateur régulier
des Archers. Sommet d’une filmographie remplie de richesses, découverte jadis à
la TV, à l’adolescence, grâce à l’insomniaque Patrick Brion, citons The
Moon and Sixpence (1942), Le Portrait de Dorian Gray (1945), The
Private Affairs of Bel Ami (1947), triptyque avec un George Sanders
irrésistible, le vaisseau fantôme que constitue le film, que constituent tous
les autres films, certes souvent inférieurs à celui-ci, évite avec brio
l’écueil de la misogynie (mythologique) et du catalogue (culturel). Fable sur
le salut, le libre arbitre, les destinées, de préférence sentimentales,
heureusement sans Olivier Assayas, Pandora évoque parfois le travail de
Welles, notamment la profondeur de champ et les contre-plongées du meurtre
expressionniste, homoérotique, commis par derrière, « coup de grâce »,
en français dans le texte, porté au creux de reins, comme si le machisme,
comique car hyperbolique, dissimulait l’impossibilité des amours masculines,
surtout en terre hispanique des années 30, bientôt annexée par le franquisme, ce
qui ne gêna pas cette sacrée Ava.
Rajoutons que l’assassinat entre mecs
s’accompagne d’un drolatique canicide hors-champ, à réjouir le Patrick Bateman
de American
Psycho (Bret Easton Ellis, 1991), bien sûr. D’ailleurs le roman
onirique (ou cauchemardesque), psychique, labyrinthique, du compatriote reprend
la qualité rêvée du métrage fantastique (pléonasme ontologique) de Lewin,
elle-même reformulée ensuite par un Canadien pareillement et doublement
littéraire, le David Cronenberg du Festin nu (1991). Pour quitter le
Maroc interlope de la dope, Bill Lee doit écrire, accessoirement faire mourir à
nouveau sa Joan duelle, inspiration de profanation, création à partir de la
destruction ; pour conjurer le sort, Pandora Reynolds doit ressentir,
offrir sa beauté, sa jeunesse, sa voix enchanteresse – Ava chante un air de
Jack King & Dorothy Parker, mon cœur – aux abysses de son complice,
succomber en rémission de leurs péchés, indifférence ou blasphème. Une tempête
shakespearienne, perçue à travers une longue-vue, instrument méta, le De Palma
de Body
Double (1984) ne me démentira pas, précipite ce drame heureux dans des
flots rétifs au chrono, au chromo, et Pandora (le mythe, le personnage,
l’actrice, l’ouvrage) peut entrer dans la légende dorée du ciné, déterminée en
dépit du déterminisme, spectre sensuel et femme fréquentable davantage que
fatale.
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