Howl : Midnight Meat Train


Homo homini lupus est ? Yes indeed, surtout muni d’un billet de la SNCF British. 


with the absolute heart of the poem of life butchered out of their own bodies good to eat a
thousand years.

Ginsberg, Howl, 1956

Howl (2015) démarre à l’heure, dans des conditions confortables, puis ralentit vite, menace de dérailler avant de se rétablir-revenir en gare presque de départ. Au commencement, un contrôleur s’avance sur un quai nocturne en direction du train du destin, il marche vers sa propre mort mais l’ignore, comme chacun d’entre nous, les sages ou les fous. L’élégante banalité de la scène de présentation servie en Scope au steadicam spectral, générique pragmatique, se voit immédiatement transmuée par le main theme mélancolique du brillant Paul E. Francis et les vocalises célestes de Laura Mace. Le spectateur attentif, mélomane, comprend dès cet instant que le voyage débuté à Waterloo, toponyme explicite, va s’avérer violent et vain, que le protagoniste n’ira nulle part, qu’il ne survivra pas au survival choral, ferroviaire puis forestier. Il espérait une promotion, il devait rentrer chez lui, sa journée finie, il accepte sans avoir le choix le service supplémentaire du nouveau directeur moqueur et moustachu le titillant sur sa virilité, sa supposée gentillesse exagérée envers les passagers, auxquels il n’imposerait pas suffisamment d’amendes, en raison de la présence à bord d’une hôtesse désirée, indifférente. Howl va déployer dans l’espace limité des compartiments attaqués, barricadés, mémoriels du western, une fable cruelle sur la masculinité, un conte de fées défaitiste sur la solidarité, l’absurdité. Le film bénéficie d’un ancrage social, sinon sociologique, caractéristique de la cinématographie britannique. Ed Speelers, vu dans le sympathique Poursuite mortelle (Gilbey, 2011), sait faire ressentir sa fatigue professionnelle, existentielle, parmi un essaim d’usagers bientôt usagés représentatifs d’une identification, position, génération en particulier. Sa collègue Ellen ne veut pas vendre des sandwiches au poulet toute sa vie, on la comprend, on compatit, elle aussi aspire à autre chose, bien qu’elle sache que le badge ne résume pas l’individu.


Au terme de la traversée, il ne lui restera d’ailleurs de son amoureux lui donnant auparavant un premier/dernier baiser fougueux dans la forêt du sacrifice que ce morceau de plastique dérisoire et ensanglanté. Le visage ravagé, exténuée, elle revient d’entre les morts, ressemble à une zombie surréelle sous l’éclairage artificiel et au milieu des gens inconscients de la station atteinte. La coda rime donc avec l’introduction, boucle la boucle du véhicule en déroute, du convoi filant droit vers le trépas. Le maquilleur Paul Hyett se reconvertit en réalisateur et les créatures de Howl, avec leur design anthropomorphe, mixte, évoquent les cannibales troglodytes de The Descent (Marshall, 2005), titre sur lequel il travailla avant d’œuvrer pour Wilderness (Bassett, 2006), Traque sanglante (Reed, 2007), Eden Lake (Watkins, 2008), The Children (Shankland, idem), Heartless (Ridley, 2009), Harry Brown (Barber, idem), Centurion (Marshall, 2010), L’Aigle de la Neuvième Légion (Macdonald, 2011), Sans identité (Collet-Serra, idem), Citadel (Foy, 2012) et la trilogie télévisée Red Riding (Jarrold, Marsh, Tucker, 2009), liste impressionniste assez estimable. « No werewolves were harmed in the making of this film » indiquent les credits et l’humour de la formule, outre souligner les sourires discrets de l’opus, dit la vérité : amateur de lycanthropie pure et dure, prends le prochain train car ici surgissent des hommes-loups, nuance d’importance, peut-être enfants en effet sauvages, fi de Truffaut, grandis depuis un fait divers des années 60, locomotive renversée, cadavres déchiquetés, disparus d’indicible. Avec sa meute mutique, horrifique, aux yeux phosphorescents, au repas dans les arbres, opposée à des spécimens peu amènes de l’espèce humaine, proies et prédateurs réversibles, Howl ne relit pas la mythologie lupine, transgenre, lui adresse seulement un salut sélénite et ironique afin de mieux en dévier, s’en écarter.


On le disait, il s’agit avant tout de donner à voir ce que signifie être un homme aujourd’hui, a fortiori en situation extrême, anxiogène. Substitué au réseau des cellulaires, un cerf foutu bloque la loco de la société Alpha Trax et l’enjeu narratif, en sus de sauver sa peau face au(x) bourreau(x) du conducteur vite éviscéré, caméo express de Sean Pertwee, croisé dans Prick Up Your Ears (Frears, 1987), Event Horizon, le vaisseau de l’au-delà (Anderson, 1997), Wilderness et Alfred du Gotham (Heller, 2014-) de la petite lucarne, réside dans l’interrogation suivante : qui occupera la place du mâle alpha ? Selon Howl, une morsure transmet la maladie et le mari âgé, sensé, succombera entre les bras de sa femme méconnaissable, stérile, désormais dotée de monstrueuses canines. La peste étudiante à portable, à cigarette, à victimisation sexuelle, sexuée, meilleure amie de sa maman ou inversement, passera par la fenêtre alors que son téléphone ressuscite, shit. L’obèse, pardon, la personne en surcharge pondérale, à tort porté sur le kebab avarié, finira dévoré dans des toilettes bloquées, merde. Le reliquat de la troupe improvisée, par avance condamnée, subira un sort similaire, frères d’infortune incluant délicatement le passé colonial et la réalité multiculturelle, cf. les origines indiennes de Hamit Shah, aperçu dans Les Recettes du bonheur (Hallström, 2012). Moins drolatique que Severance (Smith, 2006), l’item reprend la trame de l’élimination progressive du whodunit à la Agatha Christie délocalisée à la brumeuse frontière de l’imagerie du slasher. Bien sûr, il affiche un défaut duel majeur, celui de limiter ses personnages à des esquisses plutôt paresseuses, à une typologie trop caricaturale ; celui de préférer une forme de téléfilm de luxe, de DTV soigné projeté en festival spécialisé, à l’argument jamais surprenant ni dérangeant, dû au méconnu tandem Mark Huckerby & Nick Ostler.


Nonobstant, le casting ne démérite pas, ne manque pas d’énergie et parvient à susciter une certaine empathie, mentionnons les noms de la Polonaise Ania Marson, médecin de Bad Timing (Roeg, 1980), de Shauna Macdonald, l’une des spéléologues de The Descent, relookée en working woman BCBG divorcée, presque une étrangère pour sa progéniture, et du solide Elliot Cowan, consommé de muflerie à double vie et trousseau phallo, leader darwinien en costard in extremis réduit au silence par son vrai-faux rival à uniforme du rail impitoyable, bestial, après avoir poussé off l’ultime cri du récit. Le couple mal assorti, plombé du passif d’entretien râpé, embauche en bourse loupée par refus de la pénible promotion canapé, nos inimitiés au sieur Harvey, cristallise la problématique dynamique des rapports de genres à peine dissimulée sous les oripeaux gore ma non troppo du prétendu genre. Loin d’une affreuse confiance en soi à base d’égoïsme, de sexisme, de stupidité, de lâcheté, le masculin sincère, assumé, ni admirable ni indéfendable, tendrait davantage à situer son attirance au centre d’une maladresse attachante, à inscrire son courage au creux d’un héroïsme suicidaire, leçon douce-amère d’une philosophie fantastique et d’une méthodologie ludique, d’une réflexion en action(s). Il existe pire que des mutants anthropophages échevelés, occis à plusieurs, preuve de sauvagerie partagée à la Lévi-Strauss, au cours d’une guerre de territoire, d’itinéraire en retard, et pourtant logiquement vainqueurs. Existe la solitude des âmes élues, précise la chanteuse précitée durant sa lyrique lamentation de saison, esseulées au sein de la foule urbaine, du trafic kafkaïen, des arachnéennes trajectoires quotidiennes, routine de rien, agitation d’immobilisation.


Un homme et une femme, pas ceux de Lelouch, tu t’en doutes, occupent les voitures de tête et de queue du train méta, du train fantôme économe, applaudi par la critique anglo-saxonne de façon exagérée, Howl tente de les aiguiller, de les aiguillonner, le long un peu long, environ 90 minutes au compteur du lecteur, de son parcours privé de jour. Il échoue et dans son ratage conscient, volontaire, se tient sa réussite modeste, sa tristesse adulte : les transports affectifs, en commun, demeurent à repenser, à réinventer, à vivre vraiment, enfin délestés des déguisements navrants et des postures impures. On peut certes customiser hier une machine propice à la vitesse, au désir, au fantasme, au lien éphémère ou à l’indifférence regroupée, en cimetière endommagé, en étal de boucher, en huis clos de frigo, la décorer naguère en sarcophage d’outrage pour rape and revenge à dimension marxiste, visionnez si vous l’osez le radical Le Dernier Train de la nuit (Lado, 1975) ; on pourrait cependant se souvenir de la couchette et des galipettes point suspectes de La Mort aux trousses (Hitchcock, 1959), à la conclusion carrément amusante et pudiquement pénétrante. Hurler, okay, mais de plaisir, my dear...

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