Marie Madeleine : Les Démons de Jésus


Une femme, plusieurs hommes ; à défaut de gang bang, un Big Bang peu copernicien.


En vérité je vous le dis, voici un évangile végan au révisionnisme féministe. Œcuménique et anachronique, ce pensum bien-pensant, que devait distribuer aux USA un certain Harvey Weinstein – si les voies du Seigneur s’avèrent impénétrables, l’ironie du sort s’affirme infernale –, ne possède pas une once de foi dans le cinéma ni dans la féminité, réalité plurielle, contextuelle et individuelle, que les deux médiocres scénaristes du dit « deuxième sexe » entendent présenter, représenter, on se demande au nom de quoi et de qui, qu’elles réduisent, suivant la vulgate du temps désespérant, à des victimes désignées, in extremis émancipées, amen. Le réalisateur australien, metteur en scène amateur de MJC cosmopolite, semble se prendre pour un Pasolini transgenre, mais l’aridité des panoramas ne saurait équivaloir à une quelconque rigueur intérieure, à un dépouillement orienté vers le transcendant, saluons Bresson. Le vide des lieux renvoie ainsi vers celui du film, pénible entreprise de double réhabilitation, puisque la simple idée d’une prostituée pardonnée hérisse le poil et la plume des descendantes indigentes du MLF anglais, puisque Judas y devient un mari et un père endeuillé, prenant la promesse du Royaume au premier degré, trahissant pour obliger Jésus à réagir, à le faire advenir. Phoenix, poussif, presque sosie de Charles Manson, jadis tourmenteur de gladiateur républicain selon Ridley Scott, reconnaît l’immaculée Rooney, leur romance commence, miracle qui laisse de marbre, tel le titre prosélyte, servile, stérile. Élargissons l’horizon de la contrefaçon : Marie Madeleine (Garth Davis, 2018) s’inscrit dans un sillage cinématographique précis, ancien, alors baptisons son renouveau retour du religieux.



La Passion du Christ (Gibson, 2004), La Résurrection du Christ (Reynolds, 2016), Paul, Apôtre du Christ (Hyatt, 2018), trois intitulés à rimer, trois manières de revisiter une histoire, la plus grande jamais contée, si l’on en croit George Stevens en 1965, où Max von Sydow, huit ans avant de jouer les exorcistes de service pour William Friedkin, se risque à vêtir la tunique du pire, et, plus modeste, quoique, la belle, si l’on pense à l’inénarrable Claude Lelouch en 1992, où Gérard Lanvin se réinvente en forain gitan au prénom très connoté, olé. Que nous enseigne ce revival ? Que signifie-t-il, au-delà de se poser en réponse pas si inconsciente, au bord de la défensive, à la massification médiatique, sur fond d’instrumentalisation terroriste, de l’islam en Occident, cette croyance elle-même rétive à similaires récits, tabou de la figuration du prophète oblige ? Que le cinéma se prête à cela, que sa nature funéraire et solaire, que sa pratique mécanique et mystique, l’autorisent à illustrer, à ressusciter, pareilles moralités, j’allais écrire insanités, en athée assumé. Le capitalisme, prince des lumières, de la vie chère, prompt à privilégier le compromis, à frémir face au glaive messianique, s’accorde avec l’art commercial des images sonores, saintes ou non, il le soutient, il l’alimente, il s’en nourrit, il l’utilise en véhicule d’idéologie, culte conservateur, projection instituée soustraction de révolution. Toutefois, il ne suffit pas, ni à susciter l’extase de ses missionnaires, ni à se convertir au dogme de ses contestataires. Le réel, charnel, conflictuel, l’écran le dément, le dématérialise, vise à sa transmutation, à sa transsubstantiation. Le politique rejoint l’éthique, le divertissement le sacrement, l’immanence la transcendance.



Surface et symbole, formulation réflexive d’Oscar Wilde, le ciel dissimule le Ciel et le divin sait surgir y compris au sein du trivial. En résumé, le miroir du dolorisme encadre notre aspiration à ce qui nous excède, nous possède, nous obsède et nous apaise. Et la cinéphilie d’aujourd’hui place la métaphysique à portée de clic, d’article. Le Nazaréen, que l’on s’en soucie, que l’on s’en méfie, que l’on n’en pense rien, n’en finit pas de trépasser, de renaître, walking dead originel et gracieux, acmé horrifique et promesse de mieux. Il incarne un outre-corps et un esprit de concorde dont le ciné, de sacristie ou d’épicier, ne se lasse pas encore, clairement conscient d’un engouement passager, prégnant. On peut vivre sans cinéma, on périt sans foi, en soi, en toi, en ce monde diaboliquement et majestueusement humain, poussière d’étoile, insignifiance mystérieuse, secondes d’éternité ressassées, rassasiées, volées, envolées.

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