La Colline des potences : The Tree of Life


Suite à sa diffusion par ARTE, retour sur le titre de Delmer Daves.


Ce beau western, religieux et politique, interroge les mythes fondateurs dans un cadre édénique où grouillent les vipères et trône un arbre maléfique (celui de La Nurse de Friedkin, autre conte de fées pour adultes ?). Dans le Montana, terre d'enfance de Lynch, un homme manque de se faire lyncher – il faudra l’amour d’une étrangère pour le racheter, au double sens du terme. Daves filme avec élégance et grâce une parabole sur le regard, l’aveuglement et la valeur des êtres au monde. Scott s’appelle Grubb, comme le père du Chasseur ; Malden, Quasimodo nommé Frenchy Plante (!), brûle d’une fièvre sexuelle inassouvie qui précipitera sa chute (morale) du haut de la falaise ; Maria Schell, un peu fade chez Visconti, Clément ou Brooks, irradie de ses yeux verts la chambre balayée par une lampe ; quant à Cooper, à peine sorti de L’Homme de l’Ouest (éprouvant avènement de la violence généralisée à l’orée des années 60, avec une Julie London mémorable), présent mais en retrait, il doit à nouveau son salut à un ange blond, après Grace Kelly.

Le film, porté aussi par la musique à fleur de peau de Steiner, nous rappelle simplement, bien avant le révisionnisme du Nouvel Hollywood, ce que doit cette nation aux immigrants (de Cimino ou de Gray), mais encore à la rapacité (von Stroheim, pour lequel Daves écrivit Queen Kelly) d’hommes troubles et troublés (le médecin « frêle » résonne avec celui du Corbeau). Le final avec son incendie de carnaval, où brûle la ville de fortune immolée/sauvée par les racines dorées du Déluge, conjure le trauma personnel et fait advenir le chromo de l’étreinte sous l’arbre désormais inoffensif, en écho à l’épilogue de Ben-Hur, sous le regard attendri du Fils contemplant le Premier homme et la Première femme de l’Histoire devenue légende – « This was really America » dit « la fille perdue ». Si Buñuel détestait les aveugles, le cinéma les affectionne, surtout en héroïnes, de Chaplin à Terence Young, en passant par Fulci (plus récemment, Julianne Moore ou Belén Rueda se retrouvèrent seules dans la nuit). Et pour cause : ici plus qu’ailleurs, tout repose sur le regard, le vu et le caché, le réalisme et l’artifice, la reconstitution et la vérité des sentiments. La Flèche brisée contait déjà une rencontre avec l’altérité (incarnée par ce visage pâle de Jeff Chandler) ; La Colline des potences, western sans cow-boys ni Indiens, accorde une dernière chance, in extremis, à ses personnages archétypaux et pourtant de chair et de sang. Vingt-cinq ans plus tard, Eastwood, dans l’un de ses films les plus abstraits, les plus charnels, retournera chez les orpailleurs en Cavalier de l’Apocalypse, avec l’Enfer à ses trousses…

Commentaires

  1. Bel article synthétique,
    question "Cavalier de l’Apocalypse, avec l’Enfer à ses trousses…"
    ce film " Minuit Quai de Bercy" 1953, de Christian Stengel
    où Madeleine Robinson et Erich Von Stroheim chacun à sa manière crèvent l'écran, selon mon opinion...

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    1. http://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2021/06/mado.html?view=magazine

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