The Hunter : Cible émouvante


Suite à sa diffusion par ARTE, retour sur le titre de Rafi Pitts.


Ce film existentiel et métaphorique – donc très politique – combine un grand formalisme avec une belle présence au monde. La ville et la forêt deviennent des espaces incertains où tout peut arriver, et surtout le pire. Le duo de flics plus dangereux que le tueur sort tout droit de Thompson ; l'Histoire avec sa grande hache, comme disait Perec, sert de fond sonore au drame individuel, de la même façon que la visite du Duce retransmise à la radio accompagnait les tourments de Sophia Loren et Mastroianni dans Une journée particulière. L'ouverture funèbre dans un tunnel annonçait la coda sous forme de suicide.

Privé de ses raisons de vivre – sa femme et sa fille, disparues dans une violence sèche –, le chasseur s'affirme sniper (en écho à La Cible de Bogdanovich ?) pour finalement succomber à une seule balle, proie travestie, dans un bois qui égare les forces de l'ordre. Son silence, sa souffrance enragée, son mutisme résonnent avec ceux d'un autre personnage opaque et fraternel de la littérature nationale (et Pitts s'exprime en français) : Meursault, bien sûr. Camus puis le Matheson de Je suis une légende faisaient aboutir leurs anti-héros christiques dans une prison. Ils y trouvaient une étonnante sérénité ; au terme de son errance, l'ex-veilleur de nuit, étranger au monde autant qu'à lui-même, meurt au soleil, enfin débarrassé de l'absurdité, la sienne et celle de son pays, rendu au sommeil létal de Rimbaud...

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