Mister Cool : Les Musiques de Roy Budd


Connaissez-vous l’ami Budd(y) ? Si oui, on vous félicite. Dans le cas contraire, voici de quoi découvrir ce précieux compositeur/arrangeur/chef d’orchestre, passionné de jazz autant que de cinéma.


Disparu prématurément à l’âge de quarante-six ans, Budd laissa une empreinte indélébile mais souterraine dans l’univers de la musique de film, sorte de chaînon manquant et renversant entre le glamour hollywoodien et les recherches contemporaines de la composition électronique. Enfant prodige au piano, apparemment doté de « l’oreille absolue », cet admirateur de Mancini et du Phantom of the Opera de 1925, enregistrera aussi John Williams avec le London Symphony Orchestra, devenant une référence pour tous les DJ plus ou moins inspirés qui pilleront ses thèmes avec leurs propres samplesDe cette courte mais riche carrière, on retiendra cinq titres, comme un quintet de jazz, à l’ombre tutélaire de Michael Caine, présent dans trois des longs métrages.

Composé en 1971, pour le film de Mike Hodges, Get Carter lui apporte la reconnaissance et demeure son titre sans doute le plus connu, utilisé à plusieurs reprises, un peu n’importe comment, à droite et à gauche, notamment par Guillaume Durand en guise de générique pour son émission Campus, en clin d’œil de « branchitude » éphémère. En accord avec le Riz Ortolani de Cannibal Holocaust, la musique de Budd va à l’encontre des images du polar sec et gris de Hodges, blême récit de vengeance expéditive avec un Caine impérial et impitoyable. Bercé par le ressac d’une plage mentale – en présage de Houellebecq habillé sur mesure par Bertrand Burgalat dans Présence humaine –, l’auditeur s’imagine transporté dans une quelconque contrée paradisiaque. La rythmique imparable, avec un je ne sais quoi d’exotique, s’allie au clavecin pour tisser un espace intérieur apaisé, essence même de la « coolitude ». Tout cela s’avère un leurre, bien sûr, comme souvent au cinéma et dans nos vies : le morceau se termine par les crissements stridents d’un train arrivant en gare, pour y déposer le tueur implacable venu venger son frère – et nous ramène à la terne réalité de l’autre côté du miroir, à l’instar du héros dans l’épilogue de Brazil, rêvant sa vie ensoleillée par la samba un peu triste de sa liberté lobotomisée.


Budd brilla aussi dans les chansons, tel ce joyau tendre et sensuel (les soupirs féminins font penser à ceux du Pulsions de Pino Donaggio !) composé pour Diamonds (produit par les Golan-Globus), qui ne doit rien envier à ceux de John Barry. La suave mélancolie se déploie pour nous ensorceler durant 2 minutes 34 de bonheur acoustique, à grimper avec le groupe féminin The Three Degrees (de l’échelle du plaisir ?). L’art « mineur » de la chanson, selon Gainsbourg, offre moult pépites de cet acabit.


Dans The Stone Killer de Winner – un beau titre, francisé en Cercle noir, peut-être en hommage à Melville –, le musicien au piano laisse libre cours à sa veine jazz, et le titre, judicieusement baptisé In the Shadows, ne déparerait pas dans un épisode de Johnny Staccato, ou n’importe quel polar racé de la Warner des années 40. Bars enfumés, femmes fatales, nuit sans fin jusqu’à l’aube blafarde de William Irish : fermez les yeux, ouvrez les oreilles. Atmosphère, atmosphère…


Avant-dernier titre de notre sélection (on laissera au lecteur le soin de parcourir le reste de l’œuvre, à l’image, dans sa variété, de l’excellence de cette brève anthologie), le faramineux Jazz It Up, extrait de Marseille contrat, avec ses cordes menaçantes, son saxophone affriolant et ses effets sonores psychédéliques, qui inspira sans doute Don Davis lorsqu’il écrivit Matrix. Ici, la musique ouvre encore sur un autre monde, une réalité acidulée, vaguement anxiogène, mais tout bonnement irrésistible ! 


On termine avec le lyrique For All My Days, pour Kidnapped, porté par une belle mélodie et des violons chaleureux, qui évoque pour nous, malgré Stevenson et l’Écosse, une Americana rêvée, un western impossible et mélancolique – dans le même genre, on recommande le délicieux et japonisant Paper Tiger – imaginé par ce gamin anglais très doué, dont les notes nous enchantent encore immédiatement aujourd’hui.


Et en bonus, l’admirable thème principal de Fear is the Key, dont l’énergique et virtuose Car Chase, du haut de ses 9 minutes 40 et avec ses bruitages routiers, tutoie le travail de Schifrin sur Bullitt, combinaison harmonieuse de jazz et de musique dramatique, de cinéma, donc, pour une synthèse singulière dont on ne se lasse pas.


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