Deep Water : Le Roi scorpion


Du film de Brian Yuzna, on ne dira pas grand-chose, sinon qu’il s’avère plutôt soigné, mais totalement inintéressant, dans sa maladroite tentative pour renouer avec le souffle de l’aventure maritime du cinéma d’hier, assorti à la sauce numérique contemporaine. Avec son scénario de (mauvais) téléfilm exotique, son interprétation transparente (Paré le revenant), sa courte durée pouvant sembler bien longue, il ne mérite guère une étude approfondie, tant sa propre profondeur, clamée par le titre français (?), demeure bien superficielle. Yuzna, auteur des sympathiques Society et Le Dentiste, ne possède guère la radicalité de Stuart Gordon, qu’il produisit souvent, et s’il se permet des clins d’œil à Lovecraft – regardez bien le nom de l’institut océanographique sur l’ordinateur portable de la scientifique –, la mythologie de l’ermite de Providence lui passe de toute évidence largement au-dessus de la tête (et surtout de la caméra). Malgré les références du très pâle « héros » à Vingt mille lieues sous les mers ou à King Kong, l’œuvre ne parvient jamais à respirer à la hauteur de ses modèles ni de son sujet.


Car on pouvait, peut-être, avec un peu de folie et sans doute plus de moyens (financiers, mais pas seulement), emporter réellement le spectateur jusqu’à cette plateforme-prison peuplée d’enfants perdus et d’adultes négriers. On pouvait faire le portrait d’une mère orpheline de sa fillette disparue, jamais retrouvée, portée sur la cryptozoologie et le deuil impossible. On pouvait rendre envoûtante cette fable sur le pouvoir, le sacrifice et la maternité (avec le jeu sexué sur le genre de l’enfant). En lieu et place d’abysses hantés, nous voici face à un vide émotionnel et narratif assez abyssal. Mais, là encore, le cinéma paraît plus fort que le film, et un autre long métrage émerge dans notre esprit, alimenté par les courants de l’imaginaire, qui dévalent entre les rives des images de cet album. Si certains films, qui ne verront jamais le jour et surtout la nuit de la projection en salles, continuent à faire rêver tout vrai cinéphile – allez, au hasard, le Napoléon de Kubrick, ou le Leningrad de Leone –, nous pouvons nous faire notre propre cinéma dans la chambre obscure de notre cerveau, même à partir d’œuvres imparfaites, puériles, de synthèse.

Tel Ismaël parti sur l’océan à la recherche de sa baleine blanche, embarquons sur la mer cinématographique, celle qui ouvre le film, et traversons l’écran pour passer de l’autre côté du miroir, comme le scorpion en 3D à la fin : derrière la pauvreté des situations, des mots et des visages, se cache, à qui sait et veut voir au-delà, un parfum d’infini, de créatures monstrueuses, de civilisations englouties, de souvenirs de cinéma, aussi, ceux, glorieux, du bestiaire de Ray Harryhausen. Quel réalisateur pour ce voyage au long cours à l’intérieur de notre mémoire et de nos fantasmes ? L’enfant qui survit encore en nous, bien sûr, et qui met en scène ses propres terreurs, son érotisme de la survie (et de la mère/mer), autant que l’irrésistible appel du large de son univers intérieur, tandis que la gamine du film, enfin devenue femme, accouche dans les derniers plans du fruit (de mer) de ses entrailles, vivaces crustacés prêts à se répandre dans l’Indonésie entière et partout ailleurs…


Immensité


Enfance


Vieillesse


Mythologie


Narcissisme


Noyade


Distanciation


Science


Deuil


Prison


Équipage


Rencontre


Trachéotomie


Accident


Cérémonie


Adepte


Vengeance


Romance
  

Solo


Fécondation


Autopsie


Piège


Menace


Révélation


Duel


Soins


Combat


Maternité


Bûcher


Lutte


Victoire


Talisman


Renaissance
                      

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