Spartacus : Savage Messiah


Suite à sa diffusion par ARTE, retour sur le titre de Stanley Kubrick.
  

Dans un essai fraternel, Michel Chion ne consacre que quelques pages dépréciatives au mal-aimé gladiateur, qu'il faut pourtant saluer. En plus d’éléments martiaux permettant de l'inclure de plein droit au sein de l'oeuvre, on s'attachera à souligner la nature mélodramatique du film, qui la relie au reste de la filmographie de Kubrick (ne lui en déplaise) : tous les films de ce visionnaire (terme de nos jours bien galvaudé, surtout appliqué à des titres aussi puérils qu'Avatar, incapable de se hisser, pas même une seconde et malgré ses trois cents millions de dollars de coût de revient, à la cheville tout en finesse de Princesse Mononoké) s'avèrent des mélodrames. Que l'on se rappelle seulement la chanson de Christiane Kubrick dans l'épilogue des Sentiers de la gloire, déclenchant les larmes des soldats, ou des celles de Ryan O'Neal durant l'agonie de son fils dans Barry Lyndon. On pleure beaucoup chez Kubrick, même si cette veine se verra de plus en plus tempérée par un humour noir dont le parangon demeure le très satirique Orange mécanique (Psychose faisait aussi beaucoup rire Hitchcock). Plus que la peur et le désir, la tristesse et la joie (souvent mauvaise) alternent et se mêlent constamment chez le cinéaste, combinant moments bouleversants – la découverte de Sue Lyon par James Mason dans Lolita – et hilarants – la formation des Marines par R. Lee Ermey dans Full Metal Jacket – qui annihilent sa réputation tenace de misanthrope cérébral.

L'importance de la musique dans ce cinéma vient aussi du mélodrame, et comment oublier le thème d'amour d'Alex North (par ailleurs remercié de 2001 !) pour l'idylle du grand Kirk et de la sublime Jean Simmons ? N'oublions pas non plus que Russell Metty éclaira également les fables sociales déchirantes de Sirk (dont certaines avec John Gavin, ici en César). Plutôt qu'à l'humanisme de Trumbo (dont il faut revoir l'éprouvant Johnny s'en va-t-en guerre, avec une musique admirable de Jerry Fielding) ou de Fast, Kubrick s'intéresse à l'humanité (cf. le titre du livre de Chion), et Spartacus souffre sans doute de l'esprit de sérieux des deux auteurs, malgré la fameuse scène des huîtres et des escargots restaurée en 1991 (avec Anthony Hopkins doublant Laurence Olivier !). Quant à Mann, il se consolera avec Le Cid, grand film méta sur la mort de Hollywood, et signera avec L'Homme de l'Ouest un film éminemment kubrickien, par sa violence masculine grotesque, sèche et généralisée, appliquée aux femmes sous la forme d'un viol (avorté dans le cas de Julie London, et mené à terme pour la malheureuse Adrienne Corri avec Alex se prenant pour Gene Kelly). 

Un dernier mot sur deux finals respectifs : dans Spartacus, Jean Simmons tend son fils à bout de bras au crucifié (Christ marxiste à la Pasolini) ; dans Eyes Wide Shut, Nicole Kidman et Tom Cruise ne voient pas (volontairement ?) que d'étranges vieillards emmènent leur petite fille à l'écart d'un inquiétant magasin de jouets – quarante ans plus tard, Kubrick ne semble guère plus croire à la promesse d'un avenir meilleur, bien loin de l'ironie de la chanson de Vera Lynn terminant Docteur Folamour. Les enfants disparaissent – en écho à un drame personnel contemporain du dernier opus, ou à l’épilogue refroidissant du roman Lames de Mo Hadyer – et il ne reste plus que l'invite sexuelle, autant pied-de-nez qu'appel désespéré, du denier visage (et du dernier plan) filmé par Kubrick, celui d'une femme blessée qui se retient pour ne pas pleurer et prononce une réplique lapidaire et crue en forme de plaisanterie sexy. On passe ainsi du Messie à Marie-Madeleine...

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