Martin : Vampire, vous avez dit vampire ?



Onirique, satirique et tragique, ce grand Romero méconnu (la scène du couple demeure une leçon de mise en scène) commence comme Le Dernier train de la nuit, fait des clins d’œil à Frankenstein et La Marque du vampire (canines en plastique et démystification) et dialogue avec Carrie au bal du diable, autre adolescente à problème, et sa contemporaine : Cuda remplace Margaret White, et le céleri découpé les carottes en raccord axé. Dans les deux œuvres, qui font écouter des partitions remarquables, une similaire douceur de la photographie s’allie à la violence des images. Carrie restera vierge sanglante, tandis que Martin deviendra un homme entre les bras d’une femme mûre, dans une romance à la Un été 42. Notons que les deux titres se terminent sur la tombe, réelle ou cauchemardée, de leur protagoniste. Martin annonce aussi Le Sang du châtiment réalisé dix ans après (on y trouve une scène d’exorcisme réaliste qui dédramatise le chef-d’œuvre de Friedkin, que Romero, costumé en prêtre comme Pialat dans Sous le soleil de Satan, juge à son goût !), d’ailleurs basé sur l’affaire du « vampire de Sacramento ». Même assassin angélique aux allures de boy next door, même banlieue américaine (ici, en proie au chômage et à l’insécurité, là, à la fausse tranquillité anonyme) nocturne ou aveuglante de blancheur, même maladie possible (porphyrie chez Romero, schizophrénie chez Friedkin), même roman familial que s’invente le « héros » à partir d’un imaginaire morbide (films gothiques ou nazisme), avec le sang pour fil conducteur, et particulièrement celui des femmes (Tampax sous la douche chez De Palma, dans la boîte à gants chez Romero) qui fascine tant certains hommes. 

John Amplas, au visage et au jeu en miroir de ceux de Depp dans Edward aux mains d’argent (cf. la scène du repas, qui anticipe son pendant chez Burton) ou de Luchini dans Perceval le Gallois (autre jouvenceau), décroche le rôle d’une carrière, bien entouré par le reste de la troupe, et confie ses états d’âme à Michael Gornick, DJ invisible et chef opérateur talentueux. Il existerait une version italienne, montée sur la musique des Goblin, comme plus tard Zombie – peut-être la verrons-nous un jour, contrairement à la première mouture, en noir et blanc, paraît-il, et d’une durée de presque trois heures, dérobée au laboratoire ou dans les locaux de Laurel. Le chemin de croix de l’inoubliable Martin, sacrifié sur L’Hymne à la joie de Beethoven en mode carillon (encore Rampage, avec le thème bouleversant de Morricone), s’achève dans un bain de sang rappelant celui de Travis Bickle, autre misfit impuissant et cinéphile (tendance X) perdu dans une Amérique devenue un film d’horreur…

Commentaires

  1. Errance d'un solitaire dans les rues de Pittsburgh...Derrière cette histoire de freak se prenant pour un vampire, se cache un film humain, pathétique et très subtil. Un excellent Romero, effectivement méconnu et très personnel.

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    1. On aime aussi beaucoup "Incident de parcours", autre titre négligé du grand (par la taille et le talent) George, homme par ailleurs 'délicieux', cf. cet entretien :
      http://www.arte.tv/fr/rencontre-avec-george-a-romero/6416990,CmC=4147082.html

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