La Belle et la Bête : Je suis une légende


Suite à sa diffusion par ARTE, retour sur le titre de Jean Cocteau.
 

Revu dans une version restaurée, le film possède beaucoup d'atouts, principalement au niveau de la direction artistique, de la distribution et de la musique (Auric, seul primé à Cannes) mais aussi quelques défauts propres à l'univers de Cocteau, que l'on peut ne pas apprécier plus que cela, pour des griefs divers (énoncés par quelqu'un comme Bazin, par exemple).

Par rapport au conte, trois changements majeurs : l'ajout du personnage d'Avenant, hommage amoureux du réalisateur à son acteur, qui peut brouiller la réception du spectateur et entraîner une « faute psychologique » dans le comportement final de Belle ; la suppression de la métamorphose des sœurs en statues douées de raison, propre à la cruauté des récits édifiants destinés aux enfants, même si Cocteau en donne une variation avec la tête de l'âtre ; l'objet de la malédiction, enfin, simple vengeance de fée (amoureuse ?) et leçon sur la vanité des apparences – le miroir au don d'ubiquité, dont Cocteau abuse un peu, provient du texte original et résonne avec la scène « divinatoire » de Cléopâtre où Liz Taylor « voit » l'assassinat de Rex Harrison flanquée d'une pythie –, transformé par le film en fable sur l'enchantement (et le réenchantement) du monde au sortir d'une guerre, illustrée par le sort du père.

Dans un pays en ruines, comment croire encore aux fées ? En réalisant un conte dépourvu de ces charmantes créatures (Kylie Minogue en Clochette dans Moulin Rouge !), dont la dimension autobiographique (comme dans le Frankenstein de Whale) constitue la part la plus émouvante. « Mon cœur est bon mais je suis un monstre » : la phrase de l’auteur du conte, reprise à l'identique, servira aussi de morale au Edward aux mains d'argent de Burton, qui relit la même histoire (en matière de psychobiographie, on notera le suicide du père de Cocteau encore enfant, l'agonie du père de Belle, le tribut de Burton à Vincent Price...). À la fin de son conte de Noël, Burton renvoie chacun dans son foyer, ce que l'on pourrait lire comme les germes « réactionnaires » de l'impardonnable coda d'Alice au pays des merveilles, transformant l'héroïne en femme d'affaires ; Cocteau opte pour une envolée dans les cieux  qui ne le satisfaisait guère, de même que la résurrection d'Avenant en prince – dont le Donner de Superman se souviendra pour sa balade céleste avec Lois Lane au bras du Kryptonien. 

Plus encore que les « trouvailles » s'imposent un classicisme et une fidélité (Christian Bérard détestait le cubisme autant que Radiguet) qui permettent au film de tenir bien droit dans la précision de sa féerie, plus de soixante ans après. Pour en savoir plus sur cette œuvre tout sauf glacée ni statique, on lira le bel album de Dominique Marny sorti au Pré aux clercs en 2005 (et réédité à l’occasion du Gans), richement illustré par les photos d'Aldo, qui devait passer de l'autre côté du miroir sur un autre conte élégant et sensuel à propos des apparences et de l'amour contrarié : le Senso de Visconti.

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