Un vampire à Brooklyn : Max mon amour
Mélange médiocre ? Leçon d’identification.
Une œuvre « véhicule » pour
Murphy, avant La Musique de mon cœur (1999) composé pour Meryl Streep ?
Une comédie horrifique dans le sillage sarcastique de Freddy sort de la nuit
(1994), en présage de mauvais voisinage à Scream (1996), diptyque méta ?
Oui-da, mais surtout le dernier volet d’une trilogie apocryphe consacrée à la « question
noire », motif constitutif de la psyché US, de son imagerie
cinématographique, depuis Naissance d’une nation (Griffith,
1915) jusqu’aux récents Black Panther (Coogler, 2018) et BlacKkKlansman
(Lee, idem). Dans L’Emprise
des ténèbres (1988), Craven visitait Haïti sous Duvalier ; dans Le
Sous-sol de la peur (1991), il accompagnait à L.A. un petit cambrioleur
« de couleur ». Ici, notre estimable cinéaste, souvent lucide
observateur avéré de sa contrée, se déplace au milieu de la Grosse Pomme, sur
les traces guère dégueulasses d’un Dracula des Caraïbes, « plus
raffiné » que les cachets d’aspirine des Carpates. Écrit en famille par
les frangins Murphy, Un vampire à Brooklyn (1995) cite Blacula
(Crain, 1972) le temps d’une réplique drolatique, en escamote l’esclavagisme,
en conserve le romantisme, se focalise sur un casting noir où les Blancs font de la figuration, dommage pour la
chère et rousse Joanna Cassidy. Démultiplié, déjà stakhanoviste, Murphy paraît
répéter pour les sept rôles du Professeur foldingue (Shadyac, 1996),
au croisement de Lewis & Sellers. Mieux, il devient blanc, en rime à un
certain Michael Jackson, et une scène savoureuse oppose parmi un parc son
suceur de sang amusant, menaçant, à une victime tardive, préventive, croyant se
dispenser de son baiser d’éternité en usant d’une rhétorique raciale, d’une culpabilité
politiquement correcte, d’une bien-pensance basée sur les souvenirs des « souffrances
du peuple noir », la conscience des « oppresseurs de la société
capitaliste blanche ».
Hélas pour la blondinette simplette,
suspecte, éphémère Jerry Hall, aperçue dans Batman (Burton, 1989), elle
y passe, elle trépasse, transposition pudique de « l’interracialité »
explicite du X contemporain, au progressisme de pénis. Conte triangulaire
d’héritage, de maladie mentale, de destin identitaire à redéfinir loin du pire,
Vampire in Brooklyn débute par une spectaculaire arrivée au port, relecture
inspirée de la nef pestiférée de Nosferatu le vampire (Murnau, 1922).
Que regardent Julius & Silas en simultané ? Un jeu télévisé, familial,
doré, dont la blonde opulente à la Dolly Parton plaît beaucoup au vieillard à
la peau noire. Qui Maximilian mord-il en premier ? Un tandem transalpin de mafieux emmerdeurs, débiteurs dézingueurs,
« visages pâles » impitoyables. On le voit, Un vampire à Brooklyn
renverse la représentation, les stéréotypes, au risque de l’autarcique, du « marché
de niche », cause possible de son insuccès en salles, ose une dualité des
tonalités a priori incompatibles,
déstabilisante pour un public schématique. Craven collabore avec le Canadien
Mark Irwin, complice de Cronenberg et irréprochable directeur de la
photographie selon New Nightmare ou Scream, redessine en Van Helsing le
Sud-Africain Zakes Mokae, présent sur The Serpent and the Rainbow. Dieu
merci, il n’écrit pas une thèse de sociologie, il réalise un film rapide,
précis, pertinent, qui permet d’apprécier une facette différente de l’énergique
Flic
de Beverly Hills (Brest, 1984), davantage effrayante, convaincante, par
sa retenue, son élégance au bord de la danse, de la transe. Face au
co-scénariste, co-producteur, star du
soir, célébrité difficile, natif de New York, Angela Bassett ne démérite pas,
loin de là, ne joue ni les faire-valoir ni les « demoiselles en détresse ».
Qualifier Craven de réalisateur
féminin relève de l’excessif, pourtant Wes sut confier à quelques actrices des
personnages importants, remember Linda
Blair dans L’Été de la peur (1978), Adrienne Barbeau dans La
Créature du marais (1982), Heather Langenkamp dans Les Griffes de la nuit
(1984), Kristy Swanson dans L’Amie mortelle (1986), Neve
Campbell dans Scream, Christina Ricci dans Cursed (2005) et Rachel
McAdams dans Red Eye (pareil). Dans l’écume de ses consœurs WASP,
Mademoiselle Bassett se glisse au creux de l’écrin taquin, l’anime de sa
beauté, de sa sensibilité, de sa solidité, de son talent jamais clivant,
réductible à l’apparence d’un épiderme. Un spectateur blanc peut-il s’attacher
à des acteurs noirs ? Un spectateur hétérosexuel peut-il s’émouvoir à des
héros homos ? Évidemment, heureusement, et Un vampire à Brooklyn
s’adresse à tous, à chacun, entre frissons et sourires, tchatche de comparse et
peinture prophétique. Comme si Craven, in
extremis, plaidait pour une pacification des relations, le générique de fin
donne à entendre une version assez sympa du classique Superstition de Stevie
Wonder repris par les British métis
de UB 40 – du vampirisme à l’œcuménisme, il suffirait d’une chanson partagée,
d’un opus modeste et sincère à
exhumer, à ranimer via nos sangs
mêlés, enfin pour de vrai.
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