Macho Callahan : La Vengeance aux deux visages
L’immonde, la chère, le diabolique lubrique + un écho de coiffure
« interraciale »…
Rape and revenge ? Revenge puis rape, ensuite histoire d’amour sur fond
de vrai-faux « syndrome de Stockholm » : le méconnu Macho Callahan (Kowalski, 1970) mérite les gémonies du féminisme cinéphile,
précède d’à peine un an le viol à trois temps, fameux et infamant, des Chiens
de paille (Peckinpah, 1971), son sexué scandale critique. En vérité, un
tel retournement malaisant, malséant, paraît possible, crédible, au moins le
temps d’un film, surtout si l’assaillant s’appelle Janssen, Fugitif
itératif, délocalisé du petit au grand écran, sali à la Leone encrassant le
Clint trop clean de l’interminable Rawhide.
En réalité, il ne s’agit pas de justifier, de légitimer, il s’agit de saisir un
contexte, des cœurs et des mœurs complexes. Dirty,
ce Callahan-ci, en clin d’œil au flic de Siegel & Eastwood, bis (L’Inspecteur Harry, 1971) ?
Certes, mais aussi illettré trompé, enrôlé, écroué dans la cour carcérale, au
creux d’une sorte de bidon pour châtiment d’évasion. La guerre de division ne
le concerne pas, il ne souhaite, assorti d’un Mexicain serein, humain, que
connaître la félicité familière à/de Felicidad, « oasis » symbolique.
Sa route de déserteur illico libre croise
celle du colonel Carradine, l’Asiatique de TV se fait aussitôt dessouder à
cause du champagne acheté cher – la (non-)consommation d’alcool peut nuire à
votre santé, en effet. Impuni par la justice, l’épouse du Sudiste handicapé place fissa un
contrat sur sa tête, le traque itou, découvre un pendu sans pardon, jaune à
bottes jaunes, logique graphique, idem
caméo de Cobb. Désargentée, elle s’improvise écrivain public de casino, elle
escorte le tueur-joueur jusqu’à un chalet, y manie le tisonnier, en pleine
poitrine, à travers la mimine du mec en colère, qui presque la scalpe, la
tabasse, écarte ses jambes et ainsi lui-même se venge avec violence.
Pas si macho, pas si salaud, Callahan
sauve l’outragée du danger d’une ourse protectrice, recueille son petit, par
conséquent accessible à la pitié, peu porté sur le sadisme. Le trio à quatre,
famille recomposée, apaisée, parvient à atteindre leur utopie jolie, hélas n’en
profite, puisque les chasseurs de primes, même prévenus de la cessation des
hostilités, descendent Callahan à l’aube, sur son canasson, empêtré dans un
arbre, mort rapide, dépourvue d’héroïsme, gag
macabre à la Lawrence d’Arabie (Lean, 1962). Prisonnière volontaire du désert,
salut à Ford, Alexandra se retrouve donc doublement veuve et son cri de gorge,
rentré, de résonner longtemps, inutile, avant d’être figé par un arrêt sur
image récurrent. On le voit, tout cela ne respire guère le politiquement
correct abject et nul épicier, pardon, producteur, ne s’y risquerait
aujourd’hui, filtre du western ou
non, sinon au risque d’essuyer les procès d’intention des bonnes intentions de
la victimisation, censure soft droite
dans ses bottes, ah, risible et SS Ilsa (Edmonds, 1975), si tu voyais ça.
Signataire, à ses débuts, de cormaneries de drive-in,
d’un argument de serpent mutant (SSSSnake, 1973), téléaste selon Falk
ou d’autres, Kowalski, marre du tramway,
s’intéresse au désir, se révèle un véritable cinéaste pensant chacun de ses
plans, composés en Scope, déployant à sa mesure modeste, très estimable, son
portrait de dame et d’homme rempli de sueur, de sang, de sperme, sous influence
peckinpahesque, rude tendresse et coda crépusculaire incluses. Il s’appuie sur
un scénario de Carr & Gould, plumes de séries, le premier membre du tandem d’ailleurs auteur du mésestimé, y
compris par le principal intéressé, Too Late Blues (Cassavetes, 1961).
Il bénéficie du directeur de la photographie Gerry Fisher, British partenaire régulier de Losey, en sus à la lumière chez
Wilder (Fedora, 1978), sur Wolfen (Radleigh, 1981) ou Highlander
(Mulcahy, 1986). Il peut compter sur la partition de Pat Williams, compositeur inspiré
de « petite lucarne ».
Bien sûr, dominé par une femme forte
et fragile, la chère, peut-être suicidaire, Jean Seberg, francophone à l’accent
ricain rugueux, à VF émouvante, à perruque platine coupée, cheveux courts
retrouvés, le casting ne démérite,
citons les apparitions d’Anderson, mentor du milliardaire Majors, du fiston
Armendariz, de Booth, de Clark, de Hopkins, Bo, pas Anthony, et, last but not least, de Diane Ladd en
prostituée outrée, portée sur l’épaule, qui rigole, quelle époque. Mentionnons
que Jean & David s’entendirent, ne se blessèrent, interprétèrent des
personnages sincères, amants maudits rencontrés trop tard, de bref nouveau
départ. En 2019, Macho Callahan conserve sa rusticité, son originalité, ses
éclats baroques, sa beauté enracinée dans l’horreur, civile ou sexuelle. Texan
de naissance, citoyen américain aux origines juives et polonaises, Kowalski se
souvient, vingt-cinq ans après leur libération, leur exposition, des camps
d’extermination, comme le Leone similairement sécessionniste du Bon,
la Brute et le Truand (1966), remember
son kapo mélomane. Ici, on empile sur un charriot des cadavres dénudés de
prisonniers, on vide des carcasses d’animaux, on déguste en silence une bouffe
infecte, on se révolte en cohorte, on s’installe et trépasse à l’instar du
fermier esseulé, à descendance zigouillée, à compagne retardée, ah, Claudia, ex-catin d’Amérique déjà maudite, de Il
était une fois dans l’Ouest (Leone, 1968). Ici, retour au climax, à l’incipit, on commence à baiser de la pire
des manières, cauchemar à la fois réaliste et stylisé, pudique et ensanglanté,
filmé au plus près des faces défaites, on s’aime au fil du temps, des
événements, on s’excuse, on se pardonne, on embrasse une main, on s’enlace
contre le monde dégueulasse, charognards au salaire dérisoire.
« C’est qu’une femme, après
tout, rien qu’une femme, et c’est lui qu’elle veut » résume, amer,
misogyne, lucide, Harry qui renonce, patron de tripot, médiateur beau joueur,
au jeunot entiché, incapable d’éclairer l’obscurité de la féminine psyché, le
pauvre. Par ailleurs co-producteur, Gould again,
l’ami Kowalski, soucieux de style, à la grue ascendante, en cadres désaxés, en flashforwards discrets, tressés à la
nostalgie d’un récit, d’une topographie, ne se soucie de faire l’apologie de
l’abus sexiste, ne partage pas le mépris poli, fataliste, du tenancier dépité.
Il dirige un couple répugnant et poignant, il réalise un métrage d’un autre
âge, adulte, libertaire, dont l’acuité psychologique et la pertinence
cinématographique semblent désormais oubliées, enterrées, refusées. Macho Callahan, un rival vintage,
distancié, du romantisme noir immersif, désespéré, de Apportez-moi la tête d’Alfredo
Garcia (Peckinpah, 1974) ? Moindre et mieux, car un film indépendant,
de financement, d’esprit, qui ne carbure pas à la crainte, d’encourager, de choquer,
d’échouer au box-office, résultats
décevants, cependant prévisibles au vu du sujet, de son traitement, qui arrive
à dire, c’est-à-dire à montrer, deux ou trois choses intéressantes,
dérangeantes, stimulantes, in extremis
rassurantes, concernant les rapports hommes/femmes au cinéma, aux USA, jadis,
durant la décennie seventies. Ni
maman ni putain, tant pis pour Eustache (1973), l’Alex de Jean, Suzanne
épistolaire pour vieillard vicelard, se change en ange exterminateur, gardien,
en garante d’une rédemption sise sous le signe de la masculinité, de la
timidité, prise en contre-plongée iconique, contre le ciel bleu lavé, purifié.
L’imagerie du western, on le sait, propose des contes moraux sur la civilisation
sociale, morale, relisez Norbert Elias, et Macho Callahan, malgré sa
singularité, s’inscrit au sein de ce sillage ancestral, dévoile un sein, ravale
le malsain, esquisse des silhouettes tout sauf obsolètes, en réalisateur, pas
en prêcheur. Quinquagénaire solitaire, il sollicite sa redécouverte, il
persiste à surprendre, à secouer, à détruire, à reconstruire, à incarner une
certaine idée du ciné, corpus
pulsionnel, mémoriel, figuratif et abstrait, poétique et politique, royaume des
mortes, des maltraitées, des survivantes à respecter, à célébrer.
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