The Monster : Mon bébé
Femme au volant, amour au tournant…
Why don’t you love me, Mama?
Tippi as Marnie
Une mère, sa fillette, leur voiture,
la forêt, de nuit, sous la pluie et, tout autour, la peur provoquée par la
présence d’un prédateur. Aucune aide à attendre des secours, dépanneur sympa ou
ambulanciers retardés. Des souvenirs amers, violents, parsèment le présent,
comme si le monstre du titre, du récit débuté en voix off enfantine, après un carton de comptine anonyme, renvoyait aussi
vers la génitrice juvénile, malhabile, maltraitante, bouteilles vides et gifle
rapide comprises. À la fois Fantine & Thénardier, la femme ne se lève plus,
finira définitivement couchée, vomit, se fait dévorer, ne voit pas,
ensommeillée, le couteau sous sa gorge tenu par sa gosse, enragée. Durant sa
dernière apparition, post-mortem, réminiscence-rêve, elle caresse
Lizzy au lit, protégée par le drap, elle encourage son visage, tu deviendras
tellement meilleure que moi, crois-moi, elles partagent des larmes, des
retrouvailles-funérailles. Je le dis et redis depuis qu’en ligne j’écris, la
maison horrifique repose sur des fondations mélodramatiques et l’imagerie
d’effroi fracasse autant qu’elle magnifie la féminité. Dans The Monster (Bertino, 2016),
on découvre un valeureux tandem
composé par Zoe Kazan & Ella Ballentine, un double portrait de femme placé
sous le signe paradoxal du survival.
Il s’agit bien sûr d’un exercice de style basé sur un argument limité, mais
jamais désincarné, psychologisant, toujours doté d’une élégance assez intense.
Troisième femme du film, même invisible, la directrice de la photographie Julie
Kirkwood éclaire avec talent ce conte de fées défait, tout sauf défaitiste, où
grandir passe par le pire, où le deuil maternel débouche sur la lumière et
l’horizon de l’aube.
Le réalisateur cadre au millimètre,
en widescreen, son drame de chambre
automobile, aux habitacles utérins. Il sait accorder sa juste importance au
son, je pense à celui, insistant, des essuie-glace, au grondement hors-champ de
la créature vaincue à l’usure, embrasée via
un briquet, un spray, piégée par une
peluche nunuche. Les plus sévères estimeront que ceci sent le court métrage
dilué, manque de substance, de relief, de rythme, et pourtant, sans se tromper
en particulier, ils passeront à côté de l’essentiel, de la sincérité de la
modeste entreprise, de sa capacité à émouvoir, une nouvelle fois, au cœur et au
creux du noir. Elizabeth, délocalisée Cosette, traverse les ténèbres, cherche à
joindre et rejoindre son père séparé, au téléphone, reçoit en cadeau une
relique de grand-mère, apprend à ne pas paniquer, sinon à pardonner. L’enfance,
ses souffrances, tu dois les laisser là, derrière toi, ma chérie, tu dois
sortir de l’épave au pneu crevé, corbillard-bélier de loup déjà blessé, tu dois
marcher en direction du jour, mon amour, parce qu’il n’existe pas de deus ex machina, car tu ne peux compter que
sur toi, sur l’au-delà de ton être-là, que tu sembles apercevoir, solitaire,
silencieuse, taciturne, à travers les rideaux de la fenêtre de ta chambrette.
Si tu restes à l’intérieur, tu meurs ; si tu ressasses le passé, tu creuses ta canadienne sépulture en pleine nature. Alors deviens une adolescente à la
dure, évite de redouter les règles terribles de Carrie (De Palma, 1976),
extraie-toi de l’obscurité dédoublée. Nos mères, imparfaites, parfois
suspectes, nous leur devons la vie et la mort aussi, nous ne cessons de les
enterrer, de les ressusciter. Nous les regardons au miroir familial, fantomatique,
nous sondons le mystère de la chair d’aujourd’hui et d’hier, nous savons avec
certitude, très tôt, qu’il faudra leur dire adieu, essayer, malgré la perte répétée,
de conserver le désir d’être heureux, de contredire la malédiction programmée.
Plus abstrait que le concret Cujo
(Teague, 1983), moins ramassé que The
Accident, le superbe segment méta, presque similaire, de The
Theatre Bizarre (Buck, 2011), davantage viscéral que le surfait Mister
Babadook (Kent, 2014), The Monster donne à voir et
ressentir, monstration, donc, ces vérités instantanées, constitutives,
prégnantes à défaut d’être renversantes. La petite-fille d’Elia K. s’y
sacrifie, torche éteinte, son propre paternel, Nicholas, jadis auteur d’une
relecture personnelle de La Nuit du chasseur (Laughton,
1955), remember Comme un chien enragé
(Foley, 1986). Scénariste/cinéaste et co-producteur, le Texan Bertino ne
possède pareil prestigieux pedigree.
Peu importe, puisque son métrage ne mérite ni méconnaissance ni mépris,
manifeste une âme et un regard, retrace à son tour, en montage alterné, les éternelles
merveilles et monstruosités de l’humaine lignée.
Commentaires
Enregistrer un commentaire