Héros : Moon


 « Cannonerie » ? Reconnaissance…


Pour mon père

Des coups de poing dans l’âme
Le froid de la lame qui court
Chaque jour me pousse
Un peu plus vers la fin

Daniel Balavoine

Doté d’un intitulé original programmatique, Héros (Tannen, 1988) fait s’affronter un flic « héroïque », médiatique, et un psychotique increvable. Il s’agit donc d’une réflexion en action(s) sur l’héroïsme et le traumatisme, la normalité et l’insanité, le deuil et la lignée. Il s’agit, aussi, d’une œuvre doublement méta, où le tueur se terre au sein d’un ciné rénové, se déplace derrière les cloisons, une pensée pour le Kinski de Crawlspace (Schmoeller, 1986), où Norris se met en danger, au propre, au figuré, décide, entre Portés disparus 3 (Norris, 1988) et Delta Force 2 (Norris, 1990), d’explorer de nouvelles voies, d’exposer la vulnérabilité de sa persona. Hero and the Terror hélas n’attira pas les foules, déçut sans doute les fans friands de coups de tatane, mais il représente une tentative valeureuse de diversification, voire de réinvention, le refus de l’officier, guère porté sur la gloriole, comme en reflet du comédien convaincant, irréductible aux bastons de saison, Colisée inclus, salut à Lee (La Fureur du dragon, 1972). Film à l’évidence sous influence, Héros associe à sa mesure La Nuit des masques (Carpenter, 1978) et Le Retour de l’inspecteur Harry (Eastwood, 1983), précisons cependant que la parution du roman transposé précéda d’un an la sortie de Sudden Impact. On retrouve donc le prédateur abstrait, pure force maléfique à peine humaine, qualifié « d’animal » par le médecin d’asile, cool caméo de l’inquiétant Billy Drago (Vamp, Wenk, 1986, Les Incorruptibles, De Palma, 1987, La Maison des sévices, Miike, 2006), fissa lesté d’un CV express d’abus maternel, mince, ainsi que la mer, le manège, la verrière, l’ami noir assassiné. En tandem avec l’acteur-auteur Michael Blodgett, le co-scénariste Dennis Shryack, plume de L’Épreuve de force (Eastwood, 1977) + Pale Rider (Eastwood, 1984), du sympathique Enfer mécanique (Silverstein, 1977), rédige une histoire de fausse victoire, de sacre et d’insomnie, d’évasion et de nourrisson.




Norris/Danny se souvient, cauchemarde, soulève de lourds haltères, fracasse un ou deux trafiquants de drogue, concessions presque subliminales à son imagerie jolie. L’essentiel se situe ailleurs, sur le territoire de la peur, piège du policier hanté, en train de déménager, son sens de l’humour envolé, lui reproche en souriant son épouse enceinte, ex-psychanalyste du patient devenu compagnon, le mariage attendra ou pas, cf. l’épilogue apaisé, au curé alpagué. Chuck & Brynn Thayer forment un très aimable couple de cinéma, l’actrice issue de la TV anime avec adresse, délicatesse et tendresse un personnage féminin bien écrit, jamais faire-valoir ni repoussoir. Aux hommes la mort, la mémoire maudite ; aux femmes l’enfantement, le ravissant recommencement, surtout secondée par une obstétricienne sereine, récompensée par un bébé au prénom angélique : le filigrane féministe, au dualisme certes à nuancer, participe à son tour à la réussite du titre. Classique, précis, le méconnu Tannen filme tout ceci avec attention et discrétion, soutenu par le travail estimable du directeur de la photographie Van Haren Noman, du compositeur Franck, duo de coda lié à la diégèse en sus. La séquence tressant selon Mozart le meurtre du mélomane et jovial Steve James (Le Droit de tuer, Glickenhaus, 1980, Vigilante, Lustig, 1983, Police fédérale Los Angeles, Friedkin, 1985), l’accouchement abouché à un évanouissement, celui du père, pas de la parturiente, demeure une trentaine d’années après un modèle de montage alterné, merci à Christian Wagner, assembleur de Volte-face (Woo, 1997) et Mission impossible 2 (Woo, 2000), noces inspirées, disons dialectiques, d’Éros & Thanatos. La tonalité dramatique du métrage autorise néanmoins un soupçon d’humour d’état civil, cf. l’explicite prénom Carlos utilisé en cuisine, une pointe d’ironie, notamment lorsque les réponses lapidaires de Danny en présence du maire et de la presse suscitent un « Ton éloquence me laisse sans voix » de sa téléspectatrice préférée, réplique adressée autant au protagoniste qu’à la star, certes souvent plus parlante avec ses poings et ses pieds.




À l’heure où un risible arroseur arrosé questionne le bien-fondé d’une rétrospective de Funès prévue en 2020 à la Cinémathèque, s’interroge de manière rhétorique sur un prochain-possible hommage à l’ancien champion de karatéka, Héros mérite sa (re)découverte, séduit par son soin, son sérieux, sa modestie, sa sincérité, son absence de cynisme, sa fragilité assumée, constitue probablement le sommet d’une filmographie, pas vu tous les items, tant mieux, tant pis, en résonance avec le solide Sale temps pour un flic (Davis, 1985), script de Shyrack bis. Même si me hérisse le droitisme de Norris, à transformer Clint en émule de Karl, je possède assez de lucidité, d’impartialité, pour apprécier cet essai, le saluer au milieu de mon miroir fantomatique, familial. Peut-on concilier en cinéphilie Cassavetes et la Cannon, pas uniquement à l’occasion de l’émouvant Love Streams (1984) ? La réponse ressemble à une certitude, en tout cas pour moi, que cela vous (dé)plaise ou pas. Au moins cette fois, vive le tourmenté Norris et crève le stérile élitisme !


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir