Fired : Ruby
Destruction de l’entreprise et entreprise de destruction…
Every day is like survival
You’re my lover not my rival
Culture Club
Joy Mittal possède un patronyme
fameux, vient de virer 121 employés, investit le bureau du boss, se came aux médocs, copine avec le vigile, finit tel le
dessin sanguin de la prophétique photocopieuse furieuse. À moitié film, il se
regarde en replay, sur des écrans de
surveillance témoins de sa démence, mais une gosse décédée fixe l’objectif in extremis, confirme la
hantise au lieu de l’hallucination. En vérité, peu importe la perspective,
psychologique ou fantastique, puisque l’arriviste et le récit de sa longue nuit
– de l’exorcisme, me souffle Fulci – carburent à la culpabilité. Film d’horreur
dite économique, Fired (Warrier, 2010) rime à sa manière avec De
gré ou de force (Cazeneuve, 1998) et The Belko Experiment
(McLean, 2016) ; il s’agit, à nouveau, de donner à voir « la
souffrance au travail », comme disent les sociologues. Ce premier long
métrage indien et anglophone s’apprécie en tragi-comédie presque marxiste,
stimule par son dynamisme, séduit par ses surprises. Il respecte la règle
théâtrale des trois unités, il injecte un exotisme excessif au sein du calme cadre nocturne
londonien, il se remémore, au détour d’un miroir, Shining
(Kubrick, 1980), autre huis clos psycho. Car Joy, guère joyeux, ne cesse
d’apercevoir sa maîtresse, elle aussi remerciée par ses soins. On se souvient
aussitôt de Hisss (Lynch, 2010), de sa déesse serpent épicée. Ici, la
souple Mallika Sherawat cède sa place à la mutique Militza Radmilovic,
similaire némésis brune et longiligne, clair objet du désir funeste. Face au
fantôme au téléphone, mère célibataire occise en compagnie de son petit ange
prénommé Angel, au cours d’un accident de bagnole évoqué par la TV, par
l’épouse du fortuné infortuné, le DRH promu PDG s’affole, traverse une forêt
décapitée, boit un verre amer au creux d’un bar en effet d’enfer, succubes de pole dance
inclus.
Gare au café à l’acide, au stylo
récalcitrant, au cellulaire enregistreur, surtout au détecteur de fumée
dissimulant un serpent, bis. Fable
affable et impitoyable sur le licenciement et le dessillement, l’arrogance et
la mauvaise conscience, Fired débute sur une opération
aveuglante, s’achève sur un suicide assisté. Auparavant, Mittal se dédouble, se
défigure, manie l’extincteur, salut à Gainsbourg (Marilou sous la neige),
voire à Dupontel (Irréversible, Noé, 2002), croise des spectres dans l’ascenseur,
verse dans l’hystérie masculine, je vais te buter, bitch!, puis perd son œil gauche ainsi que la vie, logique
graphique, sens duel, autant que retour à l’imagerie fulcienne. Des cartons de
conclusion nous informent des origines de fait divers de la fiction, allons
bon. En réalité, ceci n’importe pas, pourquoi pas. Porté par un acteur solide,
méconnu, au moins en Occident, retenez le nom de Rahul Bose, Fired
manie l’humour noir, évacue le manichéisme, le salopard en costard, pitoyable,
dégustant à son tour, diagnostiqué dépressif. Résumons : cette chronique satirique
et modeste d’une mort annoncée millimétrée, soignée, dotée d’un filigrane
féministe, d’une bande-son dépourvue de délicatesse, de finesse, tant mieux,
tant pis, qui semble-t-il connut en local des soucis, de distribution, de diffusion,
à cause de sa violence sporadique, de son érotisme subliminal, pourtant
pudique, mérite quelques lignes de salutation, de recommandation, curiosité
assez bien placée. Demain, lundi, quand vous croiserez vos supposés supérieurs,
toujours plus détestable que soi-même au sommet, moralité relativiste du
capitalisme mondialisé, pensez-y, souriez, maudissez, dégraissez, au risque de
connaître le triste et juste sort de Joy, son cynisme et sa lucidité chèrement
payés, un instant au pinacle à minuit, ensuite transpercé au pilori, question
de karma.
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