Runaway Train : À nous la liberté
Aller simple, itinéraire d’enfer…
« Manheim est un animal » +
« Vous êtes une bête ! »/« Pire que ça : un humain ! »
puis, in extremis, une citation de Richard III, déductive,
paradoxale, sur la férocité de la bestialité dotée de pitié, sur son absence
chez l’homme, en tout cas ce roi-là : ainsi se résumerait la moralité de cette
traque existentielle, conduite par Kontchalovski presque en Russie, sise en
Alaska d’après Kurosawa, concoctée par une Cannon cannoise, alors en quête de
respectabilité, à défaut de liberté, financière d’auteurisme bon teint,
demandez à Altman (Fool for Love 1985), Cassavetes (Love Streams, 1984), Godard
(King
Lear, 1987), Schroeder (Barfly, 1987). Runaway Train (1985) ou
la correspondance, judiciaire, ferroviaire, de L’Empereur du Nord
(Aldrich, 1973) pour L’Évadé d’Alcatraz (Siegel, 1979), Voight
& Ryan substitués à Marvin & Borgnine, Eastwood & McGoohan ? Oui et
non, car une femme fait partie du mouvement, mobilis in mobile,
amitiés à Nemo, mécanicienne incarnant
la foi, la grâce, sens esthétique et mystique, possédant les traits de la chère
et brune, surprise, Rebecca De Mornay, naguère portraiturée par qui vous savez.
Runaway Train au carrefour de Dersou Ouzala (Kurosawa, 1975) et Piège
à Grande Vitesse (Murphy, 1995) ? Oui et non, puisque subsistent bien
sûr des échos de Chien enragé (Kurosawa, 1946), L’Idiot (1951), du
contemporain Ran (1985) au sein du scénario de Kuro, Kikushima, Oguni,
retravaillé par Bunker, ancien détenu devenu plume experte pour Grosbard (Le
Récidiviste, 1978), acteur à l’arrière-plan pour Hill (Le
Gang des frères James, 1980), Glaser (Running Man, 1987), Kontchalovski
(Tango
et Cash, 1989), Tarantino (Reservoir Dogs, 1992) ou « conseiller
technique » du Heat (1995) de Mann, ici en trio avec Milicevic, fournisseur d’histoire
pour À
nous la victoire (Huston, 1981) et Zindel, le co-signataire de Maria’s
Lovers (Kontchalovski, 1984), puisque le divertissement spectaculaire
avec Seagal cède sa place à une odyssée comportementaliste et philosophique,
annonciatrice de Essential Killing (Skolimovski, 2010), autre récit moins réussi
d’émancipation masculine à l’environnement hostile.
Dans Runaway Train,
au tournage en partie in situ, sécurisé
par la SNCF locale, aux intérieurs de studio californien éclairés avec soin par
le Britannique Hume, occupé la même année à Dangereusement vôtre
(Glenn) et Lifeforce (Hooper), les synthés datés de Jones, bientôt au cœur
du Labyrinthe
(1986) de Henson et Angel Heart (1987) de Parker, côtoient un choral vraiment divin
de Vivaldi, tandis que la « limousine pour Broadway » matérialise le
Midnight Express symbolique du métrage homonyme (1978) de Parker, bis, musiqué par Moroder. Succès
critique mais échec commercial, apparemment adoubé par un certain Brando, ce
film violent, émouvant, vivifiant, porté par un tandem d’acteurs transcendés, citons l’admirable Voight, primé, le
remarquable Roberts, baraqué, démontre la maestria de Kontcha en pleine période
américaine, sa puissance d’indépendance, sa capacité à transformer un argument
de film classé d’action concon en allégorie adulte, polysémique, souvent
tétanisante. Il s’agit, résumons, d’une leçon de réalisation, dont tout
aspirant cinéaste devrait s’inspirer, où
les trois espaces principaux, la prison, le train, le poste de surveillance du
trafic, se voient magnifiés, sans cesse dynamisés, par des cadrages
millimétrés, très rythmés, montage signé de l’Anglais Richardson, estimable
assembleur de La Tour du diable (O’Connolly, 1972) et Octopussy (Glen, 1983), où
chaque plan porte sur la rétine tel un coup de poing sur le ring mis en abyme. Il s’agit, aussi, d’une
réflexion en action(s) sur l’emprisonnement, l’héroïsme, l’amitié, la
solidarité, le rapport maître-disciple, père-fils, la relation sexuée,
secrétaire coquette, paresseuse, « violeur » en vérité détourneur de
mineure, pages centrales de Playboy, insultes machistes puis
défense-étreinte altruiste inclus.
Si Kontchalovski égratigne au passage
l’omnipotence de la technologie US, sur terre ou dans les airs, cf. les images
à la TV de navette spatiale vintage,
s’il illustre en virtuose un synopsis de double déraillement, au propre, au
figuré, décrété, reporté, directeur girouette de McMillan, rescapé de Dune
(Lynch, 1984), s’il sait éviter avec adresse, discrétion, une explosion d’usine
chimique de terminus pyrotechnique,
il s’intéresse surtout à la psychologie béhavioriste de ses valeureux fugitifs,
de leur némésis vénère, à la Javert, qui plonge dans les toilettes utilisées la
tête du pauvre répartiteur sûr de lui, ensuite stressé, geste à la Siffredi
pour rester parmi le registre onaniste, le sillage des statues dévêtues de Hefner, d’ailleurs
diversion de gardien enfantin et lecture de technicien taquin, duo de Noirs, la
NAACP pourrait certes se plaindre. Propulsé par la densité de la
caractérisation, l’intensité de l’interprétation, la précision impitoyable et
empathique du regard du réalisateur, Runaway Train comporte deux climax, nique
au chorégraphique Noé (2018). Modèle de sécheresse réaliste, la première
séquence derrière les barreaux, direction l’hosto, dépeint avec un impact
sanguin une tentative d’assassinat « venue d’en haut »,
littéralement, le dirlo de la zonzon en marionnettiste d’un pantin à poignard, mea culpa,
mon gars ; étalon d’acting, la
seconde oppose Manny, Buck et Rebecca au creux de leur théâtre de chambre et de
la cruauté, l’espace resserré du compartiment pas tueurs (Costa-Gavras, 1965),
rien que braqueur, exacerbant les passions, la dépression, le rush d’adrénaline, l’aliénation de la
tension, la morsure à la main déjà blessée, bandée. Démasquée, démoralisée,
notre trinité de damnés rédimés se redresse lorsqu’un policier défenestré puis
Ranken lui-même, infect, s’incrustent en hélico, au-dessus du convoi, les voilà,
moderne figuration de saint Michel matant le Dragon.
« Je suis libre ! »
affirme à raison le taulard légendaire à la Matheson, ex-confiné respecté, harassé. L’AK moscovite, initiales identiques du
Nippon, achève sa course-poursuite glacée, réchauffante, au moyen d’une image
iconique, Manny debout sur le toit de la machine promise à se renverser, à tuer
le tourmenteur, le tourmenté, centaure de tempête, sa lyrique levée d’écrou
définitive croisée via un montage
alterné de visages, le sien, celui des incarcérés, le sourire de Jonah, Bunker again, Jonas décidant de demeurer au
milieu de la baleine de haine, en réponse à distance au rictus de délivrance de Voight, jadis traumatisé par le Boorman de Délivrance
(1972), justement. La libération individuelle passe par le sacrifice, le
stoïcisme, le sens d’autrui, le refus d’une désolante survie, entre les
« trois mètres » des quatre murs chantés par Lavilliers en 1983,
réécoutez Q.H.S. en colère, en détresse. Exilé d’URSS, Kontchalovski
connaissait tout ceci de façon intime – disons trente ans avant Les
Nuits blanches du facteur (2014) célébré par mes soins, il délivre une
œuvre vigoureuse, audacieuse, chaleureuse, un grand petit film qui incite à
résister contre toutes les tyrannies, poétiques, politiques, un trajet rectiligne,
radical, jusqu’au suicide, au bout du rêve, retour à Kurosawa (1990), oui-da.
De ce film dont je ne connais que la bande annonce et plusieurs extraits choisis pour leur côté spectaculaire, mon impression première est que cela ressemble à un hybride entre deux mondes, un Russe ayant émigré aux States garde toujours les stigmates de tout qu'il a eu à endurer question privation de liberté, et justement quel est le prix à payer pour cette liberté et liberté de quoi, au nom de qui ?
RépondreSupprimerTreno Lucio Dalla
https://greatsong.net/PAROLES-LUCIO-DALLA,TRENO,100666969.html
Autres trains, plus ou moins malsains :
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=zOfh7YdugzQ
https://www.youtube.com/watch?v=Pn5X4_JCJgg