Le Secret du rapport Quiller : Berlin is in Germany


Du nouveau à l’Ouest ? Un parfum féminin, hitlérien…


Résister à Senta Berger ? Mission impossible, espions ou point, qui ne se souvient de la muse de Major Dundee (Peckinpah, 1965), L’Ombre d’un géant (Shavelson, 1966), Diaboliquement vôtre (Duvivier, 1967), L’Homme sans mémoire (Tessari, 1974), Croix de fer (Peckinpah, 1977) ou de Double Jeu à la TV ? En 1966, la belle et talentueuse actrice autrichienne enseigne en RFA, soleil noir éclairé avec une douceur ouatée, de mirage magnifié, par Erwin Hillier, familier d’Anderson, des Archers. Tandis que Pinter adapte Hall traduit par Labro, orée de son héros, Barry, entre deux Bond et La Poursuite impitoyable (Penn, 1966), compose/décline une valse mélancolique, presque à la Derrick. Que dissimule Le Secret du rapport Quiller ? Une sorte d’absurdité généralisée, estivale, qui déjoue les expectatives du spectateur, qui ne comporte aucun killer. 007 peut se démettre, George Segal, guest US souriant, résistant, envapé, questionné, manipulé, épuisé, doublé en français par un certain Bozzuffi, se voit vite évacué de ses vacances, à devoir identifier le PC d’un groupuscule néo-nazi insoupçonnable, adieu au faste néfaste de jeux du stade à la Leni Riefenstahl. Le scénariste de The Servant (Losey, 1963), Le Dernier Nabab (Kazan, 1976), La Maîtresse du lieutenant français (Reisz, 1981) fait passer une nuit blanche à son fonctionnaire obscur, certes séducteur, débrouillard, mais jamais machiste, magistral. Sous son aérien métro sans Brando, Quiller croise sa Maria Schneider à lui (Le Dernier Tango à Paris, Bertolucci, 1972), son mauvais ange à « longues jambes », plus attirante que le Ganz céleste puis terrestre, désormais regretté, des Ailes du désir (Wenders, 1987). Si von Sydow nous enterrera tous, ici déguisé en aristocratique et magnanime Oktober à couvert, à piscine masculine, au vide surréaliste, une pensée pour celle, maternelle, de Suspiria (Argento, 1977), Guinness sert de guide quasiment touristique, in extremis au sommet d’une tour Mercedes ; Robert Helpmann & George Sanders, amateurs de faisan, de soirée de Sa Majesté, accomplissent des caméos marrants.



Comédie grise au sujet de la dualité nationale, « ancienne » versus « nouvelle » Allemagne, tournée sur place et à Pinewod, The Quiller Memorandum démontre que derrière la romance, rien ne change, que persiste la peste brunie renaissante, mutique, interrogative, in fine éducative, retour à Europa (von Trier, 1991), à ses « loups-garous » relous, bras SS dressé, à son hypnose off, en surplomb, de Max la Menace précité. Notre Américain bon teint, Candide en costard et cravate écarlate, évoque le noctambule de Scorsese (After Hours, 1985), égaré au sein d’un modeste cauchemar mémoriel un chouïa sexuel. En Germanie morcelée, le passé ne passe pas. Au royaume du Mur, les plaisantes apparences et les étranges survivances contaminent la confiance. La directrice et l’institutrice, si propres sur elles, sereines, européennes, se révèlent des complices du phénix fasciste, moralité lucide ou misogyne, amitiés aux lectrices cinéphiles durant cette dérisoire journée dédiée aux « droits des femmes », abondamment bafoués le reste de l’année, je peux continuer à t’insulter, te violer, te tabasser en toute patriarcale impunité. Sur la bande-son, le Downtown de Hatch côtoie le Wednesday’s Child de Monro. À l’image, Anderson s’en sort, suit ses silhouettes suspectes en Scope, travelling, profondeur de champ rossellinienne comme rime ironique à l’hermétisme du réel, s’autorise un beau baiser hitchcockien, en plongée sculpturale. Moins pop que Ipcress, danger immédiat (Furie, 1965), Barry bis, Le Secret du rapport Quiller conserve son charme doux-amer, sa langueur mortifère, sa désillusion de saison, sa déception adulte, disons. Pas de gadgets, pas de starlettes, pas de nymphettes, pas de spectaculaire, ma chère, juste des mecs malhonnêtes et des madones trop bonnes, pas au sens sexué, sous la ceinture, du terme, quoique.


Au terme du somnambulisme existentiel, Quiller quitte la scène solaire, scolaire, solitaire, dessillé, à peine suivi du regard par l’immaculée Mademoiselle Berger, fausse orpheline, sphinge sentimentale, maîtresse de jeunesse un brin hitlérienne, à laquelle il doit, allez, la vie, son sursis. Vénus, on le sait, désigne en sus la rassurante « étoile du Berger » : à défaut du salut, Senta, sainte et satanique, désoriente en Ariane teutonne ce Thésée délocalisé, énigme ultime et davantage enivrante que les enfantillages de l’espionnage d’un autre âge…


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