Beyond the Gates : V/H/S


Le jeu et le je, le vieux et les adieux…  


En surface, un hommage aux VHS de notre jeunesse ; en profondeur, un mélodrame œdipien qui se termine bien. Dans Beyond the Gates (Stewart, 2016), il convient donc de récupérer des clés, comme dans… Fort Boyard, mais on ne finance plus des associations, on sauve des âmes. Gordon & John déménagent le vidéo-club very vintage de leur papounet disparu. Ils s’aiment maladroitement. Le premier possède une petite amie somnambule, le second un copain insultant, misogyne. Entre les deux, un flic dangereux et un commerçant malaisant. En surplomb, en direct, en vidéo, en gros plan, une femme foutrement fatale. « Who’s the babe? » demande l’innocente Margot, prénom peut-être en clin d’œil à la regrettée Mademoiselle Kidder, et les spectateurs, tous en chœur, de répondre Barbara Crampton, who else? La muse de Stuart, l’égérie de Gordon, (dés)incarne une Eurydice in extremis sans malice, puisqu’elle délivre la morale remarquable de l’imagerie horrifique, laisser les morts en paix, se soucier davantage des vivants. Après le générique de fin, elle revient, vous regarde droit dans les yeux, « ondes statiques » ou non. La Mort, ultime maîtresse du jeu, nous relance régulièrement, « tous les ans ». Le jeu éternel auquel elle invite, incite, s’appelle la vie, l’existence, bien sûr, le Cronenberg de eXistenZ (1999) ne me démentira pas. Afin de « faire le deuil » de son père dont il partage l’alcoolisme chronique, aggravé par la perte de la mère au cours d’un accident de voiture, par son propre départ, sa distance loin de la triste enfance, Gordon doit, littéralement, le tuer, en bonne logique freudienne, fulcienne, car Beyond the Gates, ouvrage d’héritage au carré, se place sous pareille tutelle paternelle par procuration, s’assortit d’une sorte de cimetière surréaliste au sous-sol, d’un portail infernal, franchis par les trois misfits d’une Amérique autarcique.



Ainsi, nulle surprise si Stewart utilise à deux reprises un titre addictif de Salvia, à effaroucher le Frizzi de Fulci. Quant à la mélancolie de l’entreprise paupérisée, un peu impersonnelle, assez sympathique et curieusement émouvante, la partition à l’unisson de Golczewski sait la saisir, la donner à entendre. Co-produit par la cara Barbara, co-écrit par le Scarlata de Jodorowsky’s Dune (Pavich, 2013), éclairé ad hoc par Sowell, réalisé par un ancien assistant du réalisateur de Re-Animator (1985), l’essai séduit par sa sincérité, sa lucidité, sa texture adulte, en dépit de ses limites de budget ou d’idées. En dehors de ses quatre décors, de son maigre dynamisme, quelque chose vit ici, pas seulement un tandem d’effets écarlates, pas uniquement des créatures ressuscitées, damnées. Beyond the Gates comporte en outre une allusion de surnom, voire de vêtement, à Taxi Driver (Scorsese, 1976), une poupée vaudou reloue, une dormeuse/rôdeuse devant le seuil, salut à Lovecraft, blonde médium aux yeux bigleux, retour à L’Au-delà (Fulci, 1981), voilà, une dague dérobée, un torse à soigner, une maison à vendre et une boucle bouclée de nouveau client, évidemment, caméo de Bruckner, l’un des signataires de l’anthologie servant de sous-titre à cet article (V/H/S, 2012). Contrairement au métrage, la partie ne saurait cesser, elle se déroule au quotidien, inquiet ou serein. Durant les credits, Stewart, fils reconnaissant, cinéaste débutant, remercie ses parents. On peut le remercier à notre tour, pas par nostalgie, par régression, plutôt pour avoir su, presque à son insu, sonder avec justesse les démons et les merveilles de la fraternité, de la famille, du trop tard et du clair départ.


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