Il était une fois un meurtre : L’Ami retrouvé
Voir, ne rien voir, succomber, résister…
The air is so heavy and dry
Strange voices are saying
(What did they say?)
Things I can’t understand
Bananarama
Bien sûr, on ne peut pas ne pas
penser à Memories of Murder (Bong, 2003), influence assumée de cinéaste
méconnu, au Sang du châtiment (Friedkin, 1987), cf. la fête foraine
funèbre, à M le maudit (Lang, 1931), nationalité commune, mais Il était une fois un meurtre (Odar, 2010) ne saurait certes rivaliser avec
ces prestigieux prédécesseurs. Il s’agit davantage d’un exercice de style en widescreen, qui frise parfois le luxueux
téléfilm, le mélodrame classé sociétal, diffusion du vendredi soir sur chaîne
franco-allemande. Titre taciturne dont l’intitulé français, outre adresser un
clin d’œil au polar sud-coréen précité, sous-entend adroitement la présence d’un
ogre de conte défait, Das letzte Schweigen se termine en
effet dans le silence, en zoom avant
au carré, boucle bouclée de porte d’immeuble (re)fermée sur un sombre secret, une
solitude définitive, une culpabilité impunie, tant pis pour le flic
épileptique, du spectateur le confort éthique. Auparavant, deux pédophiles, le
premier actif, le second passif, se rencontrent, sinon se reconnaissent, sur un
banc public, devant un bouquet de très jeunes filles en fleurs, aux maillots mouillés,
canicule cruelle de 1986, se projettent à domicile des images abjectes, les
visionnent en DVD sur leur PC, décident de se suicider au sein du lac malsain,
cimetière aquatique d’autrefois. En vingt-trois ans, Timo se rebaptise, prend
la tangente, se réinvente une vie d’archi aisé, de père insoupçonnable,
insoupçonné, puis, secoué par la réplique presque à l’identique du traumatisme/tsunami
initial, retourne revoir le même concierge un peu moins vintage, désormais non plus violeur, juste assassin, nuance de déni.
Ici, le salut n’existe pas, le passé persiste, ne te lâche pas, le deuil se
démultiplie, celui de la mère d’hier, des parents de maintenant, du policier
endeuillé par son épouse que le cancer emporta depuis cinq mois.
Sommer sévit en summer et le réalisateur survole son champ désarmant, indifférent,
fait porter à l’enquêteur la robe de la défunte, coucher ensemble le retraité,
la survivante, signe un film choral, au risque du banal. Les « suspects
habituels », salut à Casablanca (Curtiz, 1942), de la
tragédie du hasard, du trop tard, pourquoi n’accompagnas-tu pas notre fille
foudroyée à son entraînement de tennis
?, s’animent un instant grâce à un casting
assez solide, mentionnons Katrin Sass (Good Bye, Lenin!, Becker, 2003), Klaussner
(The
Reader, Daldry, 2008 + Le Ruban blanc, Haneke, 2009), Möhring
(Soul
Kitchen, Akın, 2009), Thomsen (Le Veilleur de nuit, Bornedal, 1994
+ Festen,
Vinterberg, 1998). Tandis que Martina, Pia, ensuite Sinikka trépassent, les inefficaces
« forces de l’ordre » passent près du triple meurtrier, une fliquette
« en cloque » à la Fargo (Coen, 1996) esquive,
inconsciente, soupçonneuse, un coup de couteau. L’annonce du cadavre découvert
demeure mutique, enchaîne cut sur la
trivialité d’une orange pressée – en enfer, sur Terre, au cinéma, ainsi
s’associent l’indicible douleur et une forme de blessé bonheur. Soudain David
déduit le tandem de criminels à la De
sang-froid (Brooks, 1967), danke au baladeur aussi rouge que l’Audi, et
un plan-séquence au steadicam escorte
l’affrontement avec son supérieur, le guère agréable Grimmer, alors la caméra
traverse les parois en verre, accompagne les mecs ennemis sur le parking en plein soleil. Moins drôle et
refroidissant que Michael (Schleinzer, 2011), Il était une fois un meurtre
effleure son formalisme, présage son humanisme, puisque même un croque-mitaine
contemporain s’y avère capable de regrets, d’amitié, y compris sous le signe de
la perversité, du « plaisir coupable », sens littéral, judiciaire,
partagé, refoulé.
Voici la dérangeante et rassurante
moralité d’une parabole précise, superficielle, sur la dissimulation, la
mitoyenneté, les outrages du voisinage-visionnage, les trajectoires croisées,
ne méritant ni le mépris critique indigné ni les louanges illimitées. Une œuvre
vaine et malsaine ? Un requiem
un brin artificiel et cependant, d’épouvantable façon, fraternel, voire, en
mineur(s), émouvant.
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