Le Météore de la nuit : On murmure dans la ville


 « Petits hommes verts » ? Élans en noir et blanc.


Le vaudeville, le désert et l’individualisme reviendront évidemment dans L’Étrange Créature du lac noir (1954), Tarantula! (1955), L’Homme qui rétrécit (1957), mais Le Météore de la nuit (1953) se découvre aussi en surprenante matrice inversée de L’Invasion des profanateurs de sépultures (Siegel, 1956). Déjà désargenté, au service de Universal, Arnold s’appuie sur un scénario d’Essex, le plume du Black Lagoon, une histoire du diplomate Bradbury, une direction de la photo signée Stine, responsable des effets spéciaux sur Tarantula! et The Incredible Shrinking Man, un tandem assez solide, joli couple de ciné nommé Barbara Rush & Richard Carlson. Il tourne in situ et en studio, il se situe dans le sillage artisanal d’un Cocteau, à base d’objectif déformé, de projection dans les deux sens, la chute introductive du vaisseau servant in fine à son ascension, panoramique économique de palindrome économe. La moralité xénophile du film bref se déploie durant une scène explicite opposant le scientifique au flic, une pauvre araignée en fera les frais, amitiés à « l’exterminateur » Eastwood. Cette crainte contaminante de l’inconnu, cette altérité radicale à détruire d’abord, à comprendre après, dépassent la paranoïa sur pellicule orientée à l’Est de la SF US des années 50, rejouent un récit plus ancien, celui de la rencontre des origines, lorsque l’Europe coloniale « découvrit » les « indigènes » locaux, rappellent l’antagonisme récurrent du western, au cadre géographique-psychique identique, l’époque ad hoc où un « bon » Indien se devait encore d’être mort, avant le révisionnisme des seventies, en partie profilé par La Flèche brisée (Daves, 1950). It Came from Outer Space s’avère en sus, pas si en sourdine, une satire du provincialisme de la petite ville trop tranquille, fameuse small town de la cartographie étasunienne, de son imaginaire littéraire puis de son imagerie cinématographique, ici survolée en hélicoptère de tournage et de diégèse.



Ermite assumé, l’astronome amateur, amoureux d’une institutrice complice, presque aussitôt dupliquée/réinventée en vamp stellaire, aux vêtements et au regard noirs, devient le protagoniste narrateur, dédoublé au carré, d’une fable affable sur les dangers de la médiatisation, sur la puissance armée du qu’en-dira-t-on. « Les gens parlent, de toute façon », où que tu ailles, à propos de romance extra-maritale ou d’extra-terrestres en panne. Débuté par un surcadrage de feu de cheminée, des violons sucrés, une routine éternelle, un avenir assuré, ensemble, Le Météore de la nuit se poursuit via un travelling avant vers l’étrange étranger à la respiration chargée, soutenue au thérémine, troque le télescope en plein air pour la vision monoculaire du cyclope de l’espace, dont la pudeur et le sens de la discrétion, sinon de la survie, lui font adopter la panoplie des bipèdes, automates dépourvus de leur âme, dame. Le changement de point de vue, poétique autant que politique, vise à surprendre le spectateur, à lui proposer une perspective différente, clémente, et Arnold d’alterner idem les trajets multiples des humains avec l’immobilité ensablée des visiteurs d’ailleurs. Conte d’incrédulité, de solidarité, de dialogue avorté, It Came from Outer Space s’achève sur une promesse, un espoir, que le Spielberg admiratif, coloré, de Rencontres du troisième type (1977) matérialisera à sa sauce sentimentale et musicale, en rime au new hope du contemporain Lucas. À La Guerre des mondes de Wells, explorateur de Mars avant le chroniqueur martien Ray, adaptée itou en 1953 par Byron Haskin, répond donc La Guerre des étoiles, s’y substitue, Steven en commun car auteur d’une version post-11 Septembre sortie en 2005. Moins romantique, spectaculaire et existentiel que le beau trio cité supra, en incipit de triptyque à juste titre renommé, Le Météore de la nuit se savoure à sa modeste mesure de métrage adulte, loin du tumulte, de réflexion en action(s) sur les identités, en train de s’affronter ou de s’apprivoiser. Il s’agit, par conséquent, d’un ouvrage très américain, sur une Amérique in extremis sympathique, ouverte sur le rêve et la croyance d’une concorde, même affolée, même différée, même (dé)lestée de sa 3D. 


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir