All You Can Eat Bouddha : All Inclusive
Perfidia dépourvue de perfidie…
Curiosité concoctée par des Québécois
à Cuba, All You Can Eat Bouddha (Lagarde, 2017) peut laisser certain
spectateur sur sa faim, néanmoins ce premier met(rage)s ne manque pas de
saveur(s), s’apprécie à sa juste valeur, c’est-à-dire à l’instar d’un rêve sensuel,
funeste, doux-amer, agrémenté de sourires et de mystères. Dans un Palais a priori paradisiaque, en réalité promis
à la ruine, la renaissance de persistance, le personnel et les touristes se
fascinent, sinon se prosternent, pour un Français rétif, massif, fichez-moi la
paix, mouais. Diabétique, boulimique et mutique, Mike dévore du sucré, du salé,
du cru, du cuit, délivre une pieuvre parlante prisonnière sur la plage puis
guérit aussitôt, de quelques mots, chuchotement à son oreille, une taciturne
anorexique, au papounet très bronzé, reconnaissant, doté d’entregent. Autour de
l’hôtel autarcique, le monde mute, « l’administration » se métamorphose,
nouvelles révolutionnaires retransmises via
la TV allumée, le minibus redécoré à la mode marxiste. Comme chez Romero,
revoyez Zombie (1978), la satire de la surconsommation se termine en
cannibalisme cohérent, certes moins graphique car contenu hors-champ, suggéré au
son. Avant de déguster des restes avariés, ensuite l’animateur malheureux au
creux d’un bunker solitaire, Cène obscène en présence de témoins sidérés, notre
presque obèse à l’aise se remplit, se noircit, lit les lettres d’Esmeralda, domestique
amoureuse, se transforme in fine en statue
végétale, à table, parmi les arbres. Ici, les feux d’artifice escamotent la
tempête, le massage s’effectue rapproché, les bouées colorées offrent au minot,
au héros, une ludique légèreté, en gastronomes bonhommes, identifions, fiston,
les nuages volages.
Si le désir procède de la souffrance,
si son extinction ressemble à la rédemption, si l’univers sensible relève
lui-même de l’illusion, moralité démystificatrice, guère hédoniste, du
bouddhisme, Mike représente un adepte à l’insu de son plein gré, une forme vide
puisque trop pleine d’un passé qui ne passe pas, à propos duquel il la boucle,
silence vivant de l’éternel mois d’août. Formé à la direction de la
photographie, le réalisateur privilégie les visages, les paysages, soigne ses
images moites, malades, nous sert tout ceci en 1.66, format carré carrément
carcéral, cadre de l’écran à bloc, en rime à la geôle du corps, aux quatre murs
du morbide tourisme tout confort. L’exotisme, fausse surprise, mène au huis
clos, l’altérité du décor miroite celle, existentielle, du cœur, étrangeté
davantage gourmande qu’inquiétante, quoique. Film lent et non long, film obscur
mais jamais abscons, All You Can Eat Bouddha, intitulé
franglais de formule ridicule, amusante, désoriente et tourmente, ralentit et
séduit. Ce double décalage du texte, du contexte, dialogue à distance avec
celui de Curling (2010) du compatriote Côté, jadis salué par mes soins.
Même exilée sur les terres de l’infidèle Fidel, la « québécitude »
s’habitue, s’insinue, consœur en similaire singularité de la « belgitude »
francophone, propre à charmer la cinéphilie hexagonale, différentes,
rafraîchissantes et familières bouffées d’air, au milieu des miasmes du marasme
puant du pseudo-naturalisme, du divertissement sinistre, mamelles médiocres,
voire lucratives, récompensées, de la piètre production nationale. En matière
de réminiscences, on décèle en sus des
échos eschatologiques, animaliers, immanents, fantastiques de La
Possibilité
d’une île (Houellebecq, 2008), Tabou (Gomes, 2012), Cemetery of Splendour (Weerasethakul, 2015) ou Valley of Love (Nicloux, idem) durant l’envoûtante dérive au bord
de l’hypnagogie jolie, assortis de regards caméra droit dans les yeux de
l’Occident dément, prêt à payer le prix fort afin de s’affranchir de son riche et triste sort,
de franchir la mer à la rencontre de la mort, le « meilleur des séjours »
de l’affiche reformulant en clin d’œil autant ironique le « meilleur des
mondes » voltairien, « parce que vous le valez bien »,
hein ?
Cela posé, Lagarde ne baisse pas la
sienne, sereine et doucement radicale, précise, languide, éprise du zoom avant de serpent, cependant ne
prend pas la pose morose du militant altermondialiste, ne signe point un pensum bien-pensant, dans l’air du temps
épuisant, plutôt une sorte de réponse modeste et stimulante au fiasco pour
gogos de loboto du Doctor Strange (Derrickson, 2016), opus friqué plombé par son Tibet d’opérette simplette, suspecte. Ainsi n’hésite pas, camarade amateur de vrai cinéma,
à voyager à domicile, un soir de semaine, un jour de peine : tu te
ressourceras auprès de ce Bouddha-là, qu’incarne, sens fort, le remarquable et
taiseux Ludovic Berthillot, aperçu naguère selon le Nounours de 36
quai des Orfèvres (Marchal, 2004), tu purifieras ta rétine et tu picoreras
de la poésie, crois-moi, oui-da, répète après moi l’aimable-méconnu mantra...
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