Trop belle pour toi
Un métrage, une image : Martin Roumagnac (1946)
D’un étranglement au suivant, du
laquais, la putain, au maçon, la catin. Ça commence illico comme Les Oiseaux (Hitchcock, 1963),
inséparables, tu parles, dévie vite vers la comédie dramatique, le mélodrame
drolatique, s’éternise aux assises. Première au générique, classement
alphabétique ou courtoisie sympathique, Dietrich la francophone en écho à
Schneider sonne. Survient Gélin, surveillant aussitôt sidéré, ensuite doucement
recadré, in extremis némésis à main armée. Quelle cage ouvrir, quitte à en
mourir, envolée de liberté, lyrique, prophétique ? Gabin ne déblatère un
brin, il case la caserne, l’école, la prison, il y passe, n’y trépasse, offre
son dos à contre-jour, surcadré d’une fenêtre, à la justice express. « La fatalité, ça existe
pas ! », qu’il s’exclame à l’ouvrier venu le trio de vaudeville
déranger, il nie ainsi la part la plus mémorable de sa filmographie, il oublie
le KO de Pépé le Moko (Duvivier, 1937), gare
au marocain resto. Réduit à l’isolement de l’individu, à la souffrance de la
conscience, il contredit la solidarité masculine décimée de La
Belle Équipe (Duvivier, 1936), où une femelle, sensuelle, cruelle,
foutait fissa le bordel, les féministes s’en défrisent. Le féroce Truffaut,
texte célèbre, refusait l’enfer littéraire, la paresse des (pré)textes, la
noirceur sans saveur, la qualité française et ses starifiées fadaises, virez
Véry. Cependant, plus profondément, le temps du ciné de ce temps, sous peu
presque emporté par la brève bourrasque de la Nouvelle Vague, tandis qu’au sein
du récit, l’orage ne sévit, génération Belmondo & Delon, désolé, Daniel,
ressemble à une sorte de stase, sinon d’impasse. Le spécialiste Jean-Pierre
Jeancolas cartographia 15 ans d’années trente, pourtant
tout ceci, cette sentimentale et doloriste imagerie, dura davantage, s’étendit
sur le seuil de la décennie cinquante, cf. Maya (Bernard, 1949), par exemple,
revoici Viviane Romance, pas de chance. Déprimes en série, délestées d’une
solution de continuité, l’Occupation, la Libération, confirmation,
désillusion : la France assez rance de Martin Roumagnac
raccorde avec celle du Corbeau (Clouzot, 1943), carbure aux
locaux ragots, à peine au peu d’entrain parisien, épisode des fourchettes
impec, marqueur de classes à table, redoutable. « La province, c’est la
patience » rajoute Jean, l’acteur majeur, enrôlé, rentré, doute, peut-être
redoute, va traverser quelques insuccès avant de se refaire une santé, transformé,
toujours populo, moins prolo. Au-delà de documenter l’évidente complicité d’un
couple pas si « curieux », pas prétentieux, de Gabin émane un charme
enfantin, Marlene, même Sternberg, mentor mythique, su la rendre humaine, voir
naguère la mère émouvante de Blonde Vénus (1932). Dans
l’intimité, on le sait, Miss Dietrich aimait cuisiner, en toute humilité, sa
simplicité distinguée transparaît, réjouit, lui survit, plus précieuse que sa
beauté en clair-obscur éclairée, merci au savoir-faire du DP Hubert.
Professionnel, impersonnel, doté d’un casting
choral délectable, mention spéciale à Margo Lion en (bonne) sœur secourable, le
film affirme la fin d’une liaison, frise l’autofiction. S’y affiche un
féminicide joli, d’anthologie, à gifle semblée assénée pour de vrai, à « garce »
guère « dégueulasse », s’inquiète Seberg (À bout de souffle,
Godard, 1960), in fine incendiée, à
demi réhabilitée. Ni lamentable ni remarquable, Martin Roumagnac
constitue un divertissement plutôt plaisant, à trèfle en argent, absence
d’assurance, démission d’enterrement, villa
ravie, Blanche pas franche, Lacombe ne la comble, « tonton » concon,
consul calcul, facteur buveur et farceur…
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