Jambon, jambon : Il reste du jambon ?
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Bigas
Luna.
Mélodrame de dames, drolatique et
autarcique, au titre répétitif et suggestif, aux ralentis post-produits plutôt pourris, au mauvais rêve de desséché
surréalisme, muni de la délicate mélancolie des thèmes de Nicola Piovani, compositeur de Fellini & Moretti, Jambon, jambon (1992) ne ressemble
jamais à une comédie érotique et romantique, pas plus que la série structurelle
de scènes de sexe de Crash (Cronenberg, 1996) ne
suffisait à en faire un film pornographique, erreur de perception et
d’interprétation, en doublon, pardonnons. Pas une seule seconde salace ni
dégueulasse, l’inégal Luna Bigas (Angoisse, 1987, Bambola, 1996, Di Di
Hollywood, 2010) ne vise à susciter illico
l’excitation du spectateur hétéro, puisque lui-même moins homo que son
compatriote Pedro. Revoir cet ouvrage d’un autre âge, près d’une trentaine
d’années après, incite à souligner la presque impossibilité de le diriger puis
distribuer ainsi aujourd’hui, sinon désormais d’un flic flanqué, de préférence
au féminin, féministe, en train de surveiller le set, de s’assurer que tout (se) tourne bien, respect à respecter, comme
si la mise en scène et en images de la nudité narrée, de la sensualité simulée,
ne relevait, loin du tumulte médiatique, d’artistes et d’adultes lucides,
conscients, consentants car confiants. Durant une décennie encore vaccinée
contre la victimisation et l’infantilisation, Jambon, jambon
portraiture plusieurs couples en route et en déroute, dont les relations
sentimentales et les rapports sexuels constituent de facto le matériau du
film, l’agitent et l’animent, carburants d’aimants et d’amants. Construit en
boucle bouclée, en climax à la même
place, colline de déprime, surplombée par un panneau de taureau, testicules
majuscules, ensuite émasculé, ce succès économique et critique dialogue à
distance, résonne en sourdine, avec Twin Peaks: Fire Walk with Me (1992).
Le cinéaste Bigas fait toutefois fi
du fantastique, opte pour le tragique, pietà en diptyque, grands enfants
agonisants, sur les genoux d’une « putain de mère » et d’une « mère
putain », générique explicite, elles-mêmes à genoux, à proximité d’un père
à présent enlaçant et auparavant embrassant peut-être sa propre progéniture, travelling théâtral et pictural, final
et fatal, conclu à la grue, damnés incarnés, sans transcendance, dotés in extremis
d’une dimension mythique, Atrides hispaniques. Les dieux démolis, le franquisme
enf(o)ui, ne reste que l’inceste, ciel funeste, fatum fatidique, à bestiaire d’enfer, lion vénitien, il le valait
bien. Chez Lynch, un père possédé possédait sa fille tout sauf immaculée,
bouleversante et bouleversée ; chez Luna, maternelles et maquerelles, belles
et rebelles, les MILF sacrifient leur fils, effectif, putatif, lui prodiguent
par procuration, ablutions à la maison, imitation en situation, un onanisme
magnanime. Le gigolo guère rigolo, étalon pas si con, qui connaît un petit problème
d’érection, s’éprend de sa proie, devient l’instrument à main armée, (des)salée,
d’un destin aimable et malsain. Ces monstres humains, trop humains, étrangers
et familiers, attachants et inquiétants, se ravissent et se « ruinent »,
au sein (exposé, apprécié) d’un décor déjà mort, en écho molto à celui des Désaxés
(Huston, 1961), idem item de communauté
très tourmentée, à cadre désert et déserté. Dans un no man’s land rempli d’hommes et de femmes en demande, de tendresse
plus que de sperme, la naissance annoncée, redoutée, ne semble une renaissance,
davantage une malédiction de saison, de caleçons Sanson, allons bon. Silvia
& Dalila ? Un chouïa de ça, pourquoi pas, a fortiori la vaine
violence d’un mari, « aimé » néanmoins d’une gamine en larmes
derrière une vitre opaque, sorte d’adolescente « bandante », d’innocente
infidèle, onction de pieds christique comprise, Chaperon rouge en robe blanche et
culotte noire mouillées de conte de fées fracassé, dépressif reflet de la fable
de fraternité de Bagdad Café (Adlon, 1987).
L’amitié entre mecs, quasi gay friendly, corrida
nocturne cul nu incluse, représente à peine une échappatoire provisoire, de peu
de pertinence et puissance, face aux forces d’étouffement, à la furie de la
jalousie, au poids du pénis, au vertige du vagin. Amusant, émouvant, au casting choral de talent évident, sa beauté
soulignée par le DP Alcaine, partenaire du Pedro précité, de Brian De Palma
pour Passion
(2012) + Domino (2019), Jambon, jambon, au-delà de
l’anecdotique satire sudiste anti-machiste, affirme en définitive la « bizarrerie de la vie », en Mercedes, à Yamaha, Pepsi & Coca, les mystères d’ombres et de
lumière de la chair, de la Mère, de faux frères, Abel & Caïn espingouins.
Tout ceci, précis, se termine selon une chanson de supplication, (dé)bande-son
d’un crépuscule de déréliction et de sidération, aussi de quiétude en contraste,
bucolique troupeau en bordure de tableau…
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