Au pays de l’exorcisme : Les Bodin’s en Thaïlande

 

Pas de choc en toc à Bangkok, le train thaï ne déraille… 

On le devinait avant l’arrivée du docte Lévi-Strauss : la « sauvagerie », relative, réversible, s’avère un point de vue, souvent malvenu. Au début, Bradley débarque, photographie, filme, se fait cirer, en contre-plongée, ses bottes de blond cow-boy, sirote sa bière, plus tard amère, souhait ensoleillé ; à la fin, le témoin capturé, captivé, flanqué d’un fils, orphelin de sa femme, ne retourne vers la « civilisation », que cristallise un hélico presque à la Coppo(la). Au lieu, seul, malheureux, de céder au désespoir, il redonne à voir le meilleur de sa mémoire, aussitôt ressuscite Maria, avec le vent, éternellement, déclarait-elle, elle l’accompagnera. Le village vandalisé, incendié, devenu « foyer » au carré, il convient de le « reconstruire », l’ultime image cadre donc cette réconciliation. Si la vie se poursuit, en dépit du deuil, de l’insecte sinistre, aussi noir que la nuit, définitive désormais, déjà advenue, salaud de sorcier, in extremis remercié, massacré, sur les yeux de la bien-aimée, voilà l’Anglais fissa transformé, six mois suffisent pour (re)trouver son vrai moi. Rassimov, excellent, ressemble à Rahan. La mimi Me Me Lai, secourable et adorable goûteuse de larmes, mérite un exil, ses deux scènes sexuelles paraissent des capsules temporelles, avides et sensibles. En visionnant en VO impeccable plutôt et disponible en ligne ce métrage de son âge, stimulant, amusant, émouvant, structuré en boucle bouclée sur la violence dédoublée d’un affrontement, d’un accouchement, on n’assiste à une reprise servile, insipide, de Mondo cane (Cavara, Jacopetti, Prosperi, 1962) ou Un homme nommé cheval (Silverstein, 1970), références évidentes, insuffisantes. Moins méta et à scandale que Cannibal Holocaust (Deodato, 1980), affublé d’un titre français assez risible, d’un italien un brin malsain, Il paese del sesso selvaggio, Dio mio, Man from the Deep River (1972) renverse la perspective des Tarzan d’antan, en réactualise l’érotisme édénique, au temps à tourment du terrorisme, du tiers-mondisme, suit le sillage sixties de l’exotisme, du tourisme.

Jamais raciste, encore moins manichéen, ce conte d’initiation et d’émancipation pas con, coproduit par l’indépendant et intrépide Assonitis (Tentacles, 1977, Piranha 2 : Les Tueurs volants, Cameron, 1981),  rappelle un peu La Planète des singes (Schaffner, 1968) et Le Lagon bleu (Kleiser, 1980), commence comme Martin Roumagnac (Lacombe, 1946), les mecs se maltraitent, la dame se casse, un indigène lui sourit, ne la séduit, se fait suriner, le reporter se fait oublier. Malgré un avertissement à la Dracula, du côté « blanc » du fleuve ne t’écarte pas, l’observateur occidental, en sourdine colonial, en sus nostalgique, quasi alcoolique, en tenue aquatique, son guide occis voit vite, prophétise John Merrick (Elephant Man, Lynch, 1980), « I’m a human being like you! I’m a man, not a fish! », assiste à des rituels insolites, mention spéciale à la cendrée, multiple purification vaginale, à laquelle répondra l’outrage à plusieurs des anthropophages. Sick du trip, il subit un martyre laïc, renverse le rival, pratique une trachéotomie, apprend la langue, enseigne la sienne, coupe celle de l’assaillant grotesque, obscène, alors qu’il s’en désolait, sorte de saint Sébastien hétéro, à la sauce Rousseau. Le valeureux ouvrage de (re)naissance délesté de condescendance, doté de cartons d’introduction à prétention ethnographique, ponctué de crânes à la Conrad, coécrit par le brillant Barilli (Qui l’a vue mourir ?, Lado, 1972, Le Parfum de la dame en noir, 1974, Pensione paura, 1977), le vertueux D’Avak (le Lado, Le Parfum + Si douces, si perverses, Lenzi, 1969), éclairé/musiqué de manière estimable, (dé)montre le cinéaste disons mineur à son meilleur, réel réalisateur, autant divertissant et profond que la river en question. Les féministes se défriseront d’un agenouillement de mariage, non de soumission, ni de fellation, les adeptes de la SPA ne dégusteront la cervelle du singe, la gorge égorgée de la chèvre immaculée, amitiés à Miss Kawase (Still the Water, 2014), toutefois tout cela n’indispose, n’en impose, Umberto y va mollo, a fortiori face au rugueux Ruggero.

Alors que le compatriote carburera à la colère, à l’ironie sans merci, au palindrome de l’ignoble, au cynisme du sensationnalisme, analysé en claire obscurité, Lenzi opte pour un optimisme mesuré, en rime en sourdine avec La Forêt d’émeraude (Boorman, 1985). Davantage que de médire d’un style de société, sa moralité admet un fatalisme teinté de stoïcisme, tant pis pour la solution sucrée de la médecine, de la fifille de missionnaire anglophone et infirmière en représailles l’amputée mimine. Film à la fois de dessillement et d’aveuglement, au propre, au figuré, Man from the Deep River se risque au lyrisme, expose l’extase et l’agonie de la vie, ailleurs et ici. Opus oublié, périssable ? Voyage recommandable.

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