La Sorcière amoureuse : Logan’s Run

 

Confusion, collusion, confrontation, condamnation...

À la bonne sorcière Jacqueline Waechter

Chaînon manquant et ensorcelant reliant La maschera del demonio (Bava, 1960) et Le streghe (Bolognini, De Sica, Pasolini, Rossi, Visconti, 1967), La strega in amore (1966) se découvre dès le premier plan en conte de décor : un homme à Rome soulève un store, ouvre des vitres, va vite se retrouver cloîtré, à l’insu de son plein gré. S’il dialogue de surcroît, disons à distance, avec le Fedora (Wilder, 1976) d’autrefois, le plus récent et peu passionnant Abuela (Plaza, 2022), le film de l’ami Damiani, surtout (re)connu ici pour ses percutants et pertinents polars made in Italy, annonce aussi Amityville II: The Possession (1982), coécrit par le sieur Wallace, similaire amateur de femmes en flammes, de Mexicaines guère sereines (Vampires: Los Muertos, 2002), qu’il dirigera aux USA. Seize ans avant, le (mauvais) génie du lieu sévit déjà, donne une leçon d’humiliation, sinon d’aliénation, à un séducteur un brin branleur, « vaniteux, claustrophobe et (sexuellement) agressif », fichtre, pas même fichu de (re)faire un lit, que la dame lui demande presque surpris. Emmuré illico au creux d’un obscur et décrépit palazzo, à toponyme symbolique, Largo Del Moro, Dio mio, notre macho British, donc Dick Johnson, sans sa moustache de The Haunting (Wise, 1963), malgré un escalier métallique en colimaçon quasi à l’unisson, alors séparé de Kim Novak, idem dédoublée (Vertigo, Hitchcock, 1958), de pouvoirs dotée (Bell, Book and Candle, Quine, 1958), s’excite en stéréo, puisque Sergio ne sait à quel saint (sein) se (dé)vouer, celui de la sénile Consuelo ou de la juvénile Aura. L’amateur d’érotisme manuscrit, fidèlement infidèle, salut à Brass lecteur de Tanizaki (La chiave, 1983), à consulter, à classer, devrait dénicher un dictionnaire. Il apprendrait que le terme latin, prénom de saison, s’acoquine à l’occulte, à la médecine, à la création, à la réputation.

Le corps (céleste, subtil) de Consuelo se « réincarne » de facto, « miracle » laïc, sortilège de serre, thé de vitalité, breuvage efficace un instant contre les célèbres outrages du temps. L’aura d’Aura, irrésistible et portée sur l’escrime, salut dare-dare à Lady Oscar (Demy, 1979), relève à l’évidence du cinéma, que se (dé)fait le surmâle Logan, que nous (re)fait le maestro Damiano. L’épiphanie se produit parmi une penderie, dessillement masculin au milieu des vêtements féminins. La révélation du véritable visage de la vieillesse, dissimulé derrière le charme (maléfique) de la jeunesse, ne surprend pas tant, plutôt elle bouleverse. Le romancier malheureux et dangereux de The Shining (Kubrick, 1980) batifolait dans la salle de bains, avant de voir, bien sûr au miroir, la pourriture de l’imposture. Le bibliothécaire à lieu de boulot circulaire, suivi, séduit, prisonnier puis coursier, antique antiquaire du magasin d’antiquités d’à côté, devient un accidentel assassin, prend la place du précédent, du volontaire et désavoué Volonté, le crucifie au ruban adhésif sur une nocturne voie ferrée ; himself has-been, le producteur de Fedora désirait, souviens-toi, réadapter Anna Karenina. Cela ne suffit pas, il faut foutre le feu à la fourbe fée, fi d’autodafé, lui lier au sommeil, pas au soleil, les mains, la tirer sur le terrain, comme elle tourmentait les minets, maltraitance animale, exercée sur les mâles, l’incendier en « putride » et vieille pucelle, devant le sidéré Ivan Rassimov, nouvel élu bienvenu mais malvenu, que la face de la fille, voire de la petite-fille, se superpose in extremis à celle de la (grand-)mère amère, démunie, détruite, dominatrice de Suisse et Circé carbonisée. Les VRP de la victimisation ne s’expriment point au sujet de l’Inquisition, pourtant époque atroce de « violence(s) faite(s) aux femmes » avérées, autorisées, encouragées, sus aux salopes rousses, pour le supposé bien de tous. Au mitan des sixties, une certaine virilité à demi sudiste, amusée, menacée, à musée mausolée, ressuscite la radicale pratique, conjure le sort, sort et s’en sort.

Dieu merci, Damiani ne se soucie de misérable misogynie (misandrie), n’en accomplit l’apologie, opère en chirurgien (esthétique) serein une pathologie d’hier et d’aujourd’hui. Sergio plastronne, dit adorer Aura, sa nature impure, « menteuse et corrompue ». Lorsque ce modèle « idéal » se détraque, procède du patraque, il ne peut supporter l’invraisemblable vérité, il se met à crier, à chercher la chérie enfuie, aussi légère que l’air, aura, encore, toutefois face à lui, reflet de réalité, de mortalité, dont le pathos invite au pardon davantage qu’à la punition. Quelques mecs, a fortiori cinéphiles, préfèrent, misère, l’ombre à la proie, l’image au dommage, subissent en boomerang la déception de la projection, la désolation de la désillusion, on renvoie, à nouveau, vers Vertigo. Ce romantisme morbide carbure au narcissisme, pas à l’altruisme, Logan l’expérimente, accompagné par une guitare, piégé par un mouroir, escorté d’une bande-son érotique, ironique, onirique, rythmique, matrice apocryphe de celle de Suspiria (Argento, 1977), mélodrame domestique supplémentaire, de demoiselles, dames et mères, danse et décadence, la Grèce substituée au Mexique, de Quincey à Fuentes, que le film défrisa, en admirateur de Buñuel & Saura, pourquoi pas. En l’état, La strega in amore ne mérite aucun remords, (dé)montre un réalisateur adaptateur pleinement conscient, à chaque plan, des puissances stimulantes, émouvantes, de la magie noire et blanche d’un art funéraire, aux mécaniques mystères. Le huis clos en Scope, de sexuel et existentiel confinement, confine à l’étouffement, se focalise sur le foyer, sens duel, esquisse à la périphérie les silhouettes peu suspectes d’une Martha non motorisée, ensuite stupéfaite, d’une Lorna dessinatrice, sommée de préparer le « déjeuner » du coureur quand même pourvu d’un cœur, à défaut de valeureuses valeurs, ravi de se faire « dévorer » via de la chair fraîche, les cougars, les MILFles grannies, niches du X en ligne, pas pour lui.

Ces femmes a priori fréquentables, magnanimes envers l’amant doucement démoralisant, auxquelles Elisabetta Wilding & Margherita Guzzinati prêtent leurs traits accessibles et altiers, ne sauraient rivaliser avec les excitantes et excellentes Sarah Ferrati & Rosanna Schiaffino, la première comédienne de carrière, la seconde alors Madame Alfredo Bini, qui (la) produit, pardi, à proximité de plusieurs opus de Pasolini. Lesté de ce tandem assez exceptionnel, du style racé du cinéaste, flanqué du fidèle coscénariste Ugo Liberatore (Nero veneziano, 1978), appréciez une poignée de gros plans caressants, saisissants, regards caméra inclus, de l’actrice de The Man Called Noon (Collinson, 1973), de l’idoine direction de la photographie de Leonida Barboni (Domenica d'agosto, Emmer, 1950), de l’aristocratique direction artistique de Luigi Scaccianoce, (Lo scopone scientifico, Comencini, 1972), de la bonne BO de Bacalov, du montage dynamique de Baragli, l’item amène déploie de plus un mari embaumé, à cercueil en verre d’un sabre transpercé, identifié in fine suicidé, de la gastronomie aphrodisiaque, recette d’experte, une scène de déshabillage à la bouche, pas touche, unique et anthologique, un sein olympien, aperçu en contre-jour, maté au carré, Rosanna décédera du cancer homonyme, putain de déprime, une série de quatre gifles foutues à la fifille factice, d’artifice, les féministes font une crise, contre une seule infligée à l’à moitié Anglais, des profils et des sourcils, à portraiturer, à peigner, une perruque blonde ôtée, la Judy/Madeleine de Kim prend la pose au resto, doit fissa filer se recoiffer, érection de chignon. Estourbi bientôt, Fabrizio la définit en « poupée sinistre », exige, soutien de types, une « confession d’absolution », un « pacte » pirate, le gentil Sergio lui conseille d’aller s’aérer, de se désenvoûter, pharisien incertain.

Film de faces et de surfaces, de glaces et de (dis)grâces (garces), brûlant et refroidissant, distancié, enfiévré, La strega in amore comprend une pelletée de zooms avant et zooms arrière, attraction répulsion d’espion optique, priapique, mouvement de va-et-vient d’espace malsain, entre tes cuisses ou tes reins, des surcadrages sans ambages, prisons à foison, mention spéciale à la cellule maternelle de la chambre à coucher, où la pseudo-progéniture, affolée, se fait enfermer. D’une chatte à l’autre, honni soit qui mal y pense, qui bien y bande : l’Aura de Rosanna, allongée sous la claire obscurité, poignets croisés, doigts serrés sur la ferronnerie phallique de la tête de lit, affiche en filigrane la Liz Taylor give me more, mise à la sauce Tennessee Williams, de Cat on a Hot Tin Roof (Brooks, 1958), offerte en pure perte à l’impuissant Paul Newman. Si le désir, a posteriori du pire, se consomme (et consume) à la manière d’une drogue, rend les gars et les nanas hétéros accros, sacré Damiano, moraliste peut-être catho, la « moralité » appartient néanmoins aux « perdants », persifle Fabrizio, la vraie vie des vrais gens, pas l’âcre simulacre des masochistes amants, se poursuit, s’observe, au terme d’une ellipse de trimestre impayé, passé à sur soi s’apitoyer, en l’absence de la bien-aimée. Muni d’une cigarette de pyromane de psychodrame, pas de condamné déterminé à s’émanciper, Sergio suit des yeux, rendu vieux, envieux, une ménagère (une servante) à l’air, linge allégé, terrasse de toit, semblant sortie de Una giornata particolare (Scola, 1977), fable de calfeutrage, de solitudes assorties, en sursis, à domicile métonymie d’un pays soumis à la fumiste sorcellerie fasciste, à la malédiction des discours à la con d’un risible et nuisible histrion. Logan se fiche d’une femme au foyer, la suggestion de mariage de l’aimable et travailleuse Martha le fit fuir recta, il affirme cette femme digne de flamber, il la crame, sans état d’âme, CQFD.

Cependant une sorte d’accord commençait à émerger, désobéissance de la ressemblance, indépendance de la persistance. De cette rencontre réelle, au-delà de l’instrumentalisation de l’étalon, de l’anathème du je t’aime, ne reste en définitive qu’un film invisible, un tas de cendres plus dur que tendre. Disponible on line, en VOSTFR impeccable, en dépit d’un vouvoiement de couple inexistant dans la langue de Dante, Sergio & Aura se tutoient, oui-da, le titre (explicite) malheureusement méconnu de Damiano Damiani, découvert hier, merci Ja(c)quie, merde à Michel, demeure un diamant d’antan, une radiographie de l’esprit, du sexe, des sens, des sentiments, en (superbe) noir et blanc, une exploration de l’abstraction d’une maison, utérus à ascenseur, extase et douleur, Dieu disparu, obsession revenue. À quoi sert le cinéma ? Par exemple à permettre ce voyage-là, de mouvante immobilité, de déterminante odyssée, aux fantômes et fantasmes familiers, à l’oxygène raréfié, à l’hystérie partagée, théâtre délectable de (la) sexuée cruauté.

Commentaires

  1. Splendide texte ! Grand merci!

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    1. Mon ordinateur étant de nouveau opérationnel après un coup de chaleur "abracadantesque",
      je reviens avec plaisir commenter de manière moins anonyme,
      votre billet rend compte avec brio du côté ensorcelant du film,
      qui le visionne en ressort un brin ensorcelé mine de rien
      et là n'est pas le moindre effet magique de la chose!
      Encore merci pour les dédicaces.

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    2. Maléfices de mâles sans fils, sinon de cinéfils, dirait Daney...

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    3. Sergio Endrigo - La rosa bianca. https://www.youtube.com/watch?v=pkCl-h4lnZo
      La Rimpatriata (regia di Damiano Damiani, 1963)
      https://www.youtube.com/watch?v=GfF8CKii6Mk

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    4. https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2020/03/les-femmes-des-autres-miracle-milan.html
      https://www.youtube.com/watch?v=6wxwUfki8EI

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    5. Voir, revoir certains films pour peut-être réussir à voir autrement,
      et se souvenir, maintenir une correspondance au fil du temps, rendre hommage,
      ainsi ce billet personnel dédicacé à l'auteur du Miroir des Fantômes
      lieu de découvertes pour moi de tant de films singuliers ou autres,
      au travers de billets "sensibles " nourris de références "vitalisantes " et à multiples facettes :
      http://jacquelinewaechter.blogspot.com/2022/06/je-suis-le-seigneur-du-chateau-leclat.html

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    6. Merci, désolé d'avoir loupé cet hommage poétique, personnel, personnalisé.
      Conte encore de classe, combat, corruption, au baiser bien troublant, de conclusion, sinon d’absolution, d’une adulte à tumulte, idem gouvernante, à un défunt enfant :
      https://www.youtube.com/watch?v=xDrDulRuPR0
      Susan Hill écrivit aussi La Dame en noir, possible clin d’œil au surnom de la Miss Jessel de James, Capote & Clayton…
      Ami de Brian De Palma, cf. son caméo à Cannes dans Femme fatale (2002), le macroniste Wargnier m’intéresse peu, peut-être pas assez ; je conserve un souvenir presque positif de l’opus, vocable idoine, dépressif La Femme de ma vie (1986), où Elsa & Romano Musumara remplaçaient Prokofiev, peste :
      https://www.youtube.com/watch?v=basEsIEjaFE

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