L’Homme parfait : Mustang
Possibilité de (se) tromper, impossibilité d’être (dé)trompé…
Variation de saison et ad hoc
des Femmes
de Stepford (Forbes, 1975) ? Davantage version locale du peut-être
plus sentimental I’m Your Man (Schrader, 2022), synchronicité à la Carl des sorties, eh oui. Sous sa forme
amorphe de téléfilm inoffensif, rien d’étrange, mon ange, car Orange
(télé)commande, L’Homme parfait (2022) met en images trop sages la
masculinité très tourmentée de notre médiocre modernité. Une avocate patraque,
un acteur chômeur, un robot (h)UMAN(o) : voici le vaudeville revisité, le
trio vieillot réinventé. Mais l’amant manie l’amie, Pierre-François fornique
avec Frédérique, pourtant remplace le placard une cabine de batterie colorée où
filer, affaibli, se recharger. Durringer et ses scénaristes ne se soucient de
sociologie, de misogynie, des épouses dépourvues de blues, d’androïdes sexuels et sexués designés par un séide de
Disney, afin d’assister puis assouvir le désir du petit patriarcat d’une Americana à l’écart des furies
féministes, même si l’on reparcourt toujours des allées de supermarché, lieu
merveilleux, malheureux, métonymique, dramatique, Romero le comprit illico (Zombie, 1978). Florence,
en souffrance, reste fidèle à Franck, en carafe, ne subit aucun accès de
misandrie, n’entend prendre une revanche, plutôt saisir une seconde chance, de
couple en déroute déjà usé, enlisé. Limité à l’intime, le conte de
science-fiction pratique une différenciation physique, substituée à la guéguerre
des sexes ainsi congédiée. Dans sa robe brillante un brin à la Rabanne, Bel
semble bel et bien un mannequin en mode Blow-Up (Antonioni, 1966), tandis
que Valérie Karsenti, vrai-faux sosie de Mink Mindi, en dépit d’un déshabillé
noir, au lit, ô désespoir, dispose d’une séduction de bon ton. Face à elles,
fréquentables femelles, les mâles rament, mis à mal, père et fils en surcharge
pondérale, Bourdon adoube le bowling,
sport de faible effort, symbolique, donc rond et con, en sus du vrai-faux
sosie, bis, de Monsieur Mélenchon,
c’est-à-dire, déguisé en vieux garçon à chatons et poupées gonflées, Duquesne l’ancien Deschiens,
il le valait bien.
Quant au psychanalyste en toc, personnel
pléonasme, de Le Coq, à gros cigare et (pas si) surprenante « banane »
bien freudiens, il ne saurait rivaliser avec l’idéal, indispensable,
encyclopédique, érotique Bobby, a fortiori sa fonction copulation, à l’accès
protégé par un code parental. « Prends la place de Franck » lui
propose Florence attablée, des gosses flanquée, en toute innocence, en toute
cohérence, puisqu’il maîtrise itou le barbecue,
que l’absent tournera une connerie musicale au Maroc, hamburger moqueur. Sinistre d’être autant souriant, rictus mécanique, sinon ironique, le mec
de ménage et sex toy à la svelte silhouette fait fissa la joie des enfants, duo d’accros
aux jeux vidéo, casqués de virtuelle réalité, guère des grands, du grand
enfant, point époux parent et occupant de piaule payée par sa moitié à irriter
tout intermittent. Comme la Mustang et l’érection déconnent, liberté liée,
virilité virée, somatisation d’occasion, quoi de mieux qu’une émasculation,
ensuite un homicide, « va chercher la baballe » au fond du
lac ? Coupable, créatif, par procuration, par compilation, le script de Cendriman assemblé à
partir de Kafka, Tolstoï et bien sûr Cendrillon, pas de pot, Pinocchio,
capable d’à nouveau procurer sa jouissance à sa Florence, sans douce violence,
sans se violenter, arrière, belle-mère, caméo de Nicole Calfan, Franck, effaré,
toutefois reconnaissant, assiste au lever guilleret à la résurrection de celui
qui, de toute façon, ne peut « mourir, faire caca ni pipi »,
explique-t-il à l’édentée, traumatisée gamine, increvable combattant, pauvre gitan.
Sous ses airs de coda consensuelle, en écho à L’Étrange Créature du lac noir
(Arnold, 1954), clin d’œil cordial inclus, la conclusion déclaration anxiogène (« Je
vous aime ») confine à la programmée disparition, à la promise
permutation, famille recomposée, récompensée. L’Homme parfait affirme
en sourdine que l’humanité se caractérise par sa corporalité, sa mortalité, sa
bestialité de « nounours » jaloux, « mal léché », branleur
et pas bricoleur, non par l’émotion, la réflexion, la religion.
Au royaume immanent du consumérisme à
domicile, au milieu de la maison, espace sacro-saint de maître et « maîtresse »
homonymes, à double sens, la perfection ne défèque, ne décède, elle décide, attend
patiemment du type pathétique l’éviction définitive, « intelligence
artificielle » d’insémination idem,
pensée pour Génération Proteus (Cammell, 1977), cauchemar
domestique, robotique, accouchement dément. À travers l’avers et les revers de
ce transhumanisme de comédie romantique
quasi autarcique, incise English
du yoga sympa, il s’agit aussi de mettre en abyme l’abolition de la dimension anatomique,
anal-ogique du ciné désormais numérisé, du comédien cruel licencié par le
logiciel, du vivant, de l’émouvant, de l’accident, de l’excitant, supplantés
par le cahier des charges, le formatage, l’humour régressif et raciste. Anti-spectaculaire
et exemplaire, peu applaudi d’un public assoupi, aux rires rares, en salle
presque glaciale, L’Homme parfait, film infime et imparfait, constitue en résumé
l’objet du sujet, la « projection » cinématographique et psychanalytique
d’une eschatologie prénommée Bobby, la (pré)figuration aux yeux bleus d’un
avenir radieux, l’anticipation non précisée du bonheur, cette « invention
du vingtième siècle », (dé)livré…
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