Toi, le venin

 

Un métrage, une image : L’Accident (1963)

J’avale des couleuvres

J’y suis pour rien j’y suis c’est tout

Lili Frikh, Ch’uis P’tite

Film ultime de Gréville, lui-même a priori porté sur la bibine, victime définitive d’un accident automobile, ce titre rarissime, pas même doté d’un succès d’estime, s’avère vite un vaudeville dépressif, un gros mélo, un thriller de langueur. La Russie se réduit ici aux symphonies de Tchaïkovski, au pedigree de la (mal) mariée, à un discours sur trente-trois tours, à de l’alcoolisme local, poire d’entonnoir au lieu de vodka, voilà. Les Slaves, faut croire, ça sait boire, picoler contre le désespoir, ou bien s’imbiber afin de le renforcer, allez savoir. Françoise passe et repasse, dans l’impasse, à un jet de pierre du cimetière, à proximité d’épaves, au propre, au figuré, métaphore formulée, dont une porte le prénom, allons bon, de l’épouse en proie au blues. Cependant Andréa ne se suicidera, laissant cela à Anna Karenina, elle descendra Julien, parce qu’il le valait bien, je vais t’apprendre, grand garnement de quarante ans, à prendre pour maîtresse la fraîche et traîtresse maîtresse. Entre-temps, elle se trompe de serpent, confond couleuvre et vipère, faut le faire, erreur peut-être en partie due à sa blondeur, surtout à sa rancœur. Sur cette île d’Armorique guère accueillante, davantage refroidissante, où dormir, la pluvieuse et venteuse première nuit, parmi un troué taudis, tente en attente, clous de crucifié, les pêcheurs se noient moins qu’avant, ils peuvent donc fabriquer plus d’enfants. Julien tient les siens, ses élèves espiègles, d’une main de fer équipée d’un sifflet, pas mieux pour imposer la « docilité » aux petits hommes, tu m’étonnes. Le dirlo de l’école écrit illico au revers du tableau un mot doux relou à sa nouvelle « collègue », que « le dérangé » du coin, plus pathétique que malsain, n’en déplaise aux représentants autoproclamés de la représentation des supposées minorités, car notre marin zinzin, sans doute traumatisé depuis son retour d’Indochine, charrie avec les invisibles Chinois qu’il voit, non pas « jaunes » mais « verts » de surcroît, mate au miroir, en sous-vêtements très blancs, en train de se réchauffer à la cheminée, selon ses soins de cinglé doué d’urbanité allumée. Ailleurs, au lit, près de la penderie, fi de soutif, la poitrine d’Andréa idem se dessine. D’abord pas d’accord, décidée à demander à être immédiatement mutée, l’institutrice priée de ne point porter de pantalon, pardon ?, devient donc complice, le malheur de Julien, ni Sorel ni stendhalien, en dépit d’un clin d’œil littéraire, amer, de bord de mer, l’émeut bien. « Quart d’heure » de silence, de dernière chance, la « grâce » surgit, merde à l’inspecteur d’académie, la jeune femme, pas formée par la filière normale, s’offre de bon cœur à son supérieur. Hélas, l’éden se casse, l’histoire ne se tasse, Julien, agonisant, joue au gisant, la chapelle romane, presque « provençale », curiosité renommée, de pique-nique piégé, servira de chapelle ardente au cadavre « laïc », au toubib à caducée, CQFD, aux gendarmes manieurs d’arme, au flic stratégique, fissa découvreur de vérité, je vais avouer, je veux m’aveugler, penser à cet instant que l’infidèle flingué m’aimait pourtant. Magali Noël ressemble un brin à Liz Taylor, voire Vivien Leigh, son chevalier des sables misérable, vénère Rivière, perd le nord, puis la vie, Danik Patisson se donne, n’abandonne, étonne, les gamins, « cabotins », cruels, se moquent d’elle. Sucer (une cheville envenimée) revient-il à tromper ?, question d’Ardisson. Edmond répond, se soucie de jalousie, Dard s’adapte, dialogue, Badal, le DP de Playtime (Tati, 1967), ne perd son âme en Bretagne, tandis que le philosophique Bénazéraf produit tout ceci, visionné par votre serviteur certes sans un soupçon de passion, une once de protestation, sans ennui aussi, oui.       

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