He Walked by Night

 

Un métrage, une image : He Never Died (2016)

Il faut faire fi de sa forme téléfilmée, écarter ses carences d’écriture, afin d’apprécier, à sa modeste mesure, cette moderne relecture du destin de Caïn. Inédit en salles, disponible en ligne, l’opus obscur portraiture un Melancholy Man, reprenons donc le titre explicite des Moody Blues, posé sur la bande-son, utilisé en situation. La mélancolie mutique, autarcique, du protagoniste in extremis colérique, car voici une très vieille connaissance, un vieil homme qu’il vaut mieux éviter de voir, semble aussi caractériser son interprète, à savoir le polyvalent, voire « intimidant », Henry Rollins, qui commit de multiples caméos au ciné, à la TV, par exemple chez Lynch & Sia (Lost Highway, 1997, Music, 2021), s’illustra surtout au sein de Rollins Band, parmi lequel il incarna, à l’occasion d’un clip à succès, par le spécialiste Corbijn (Control, 2007 ou The American, 2010) dirigé, remarquable et remarqué, un mémorable menteur, à ramener celui, doux et mou, de Baroux (Menteur, 2022), à la maternelle, amen. Une vingtaine d’années après, Rollins ne paraît pas si assagi, davantage discret, en retrait, tendu, de tout revenu. Les « siècles des siècles », ça vous épuise un mec, même immortel et maudit, pardi. Comme Christophe(r) Lambert naguère, entre Connery & Mulcahy (Highlander, 1986), à l’instar des vampires sensuels et existentiels d’Anne Rice, mis en musique selon un second chanteur acteur, à savoir le Sting de Moon over Bourbon Street, Jack souffre de spleen, sinon de déprime. Sa solitude indicible, inhumaine, sans fin, s’accompagne d’une drôle de faim, puisque notre anti-héros plus ou moins rigolo, néanmoins muni de canines banales, normales, sacrifie à l’appétit du sang, de la chair, émétique fringale, cruel mystère. Le cannibalisme compulsif peut-il pourtant s’accommoder du romantisme complice ? On aimerait bien que cet avatar canadien végétarien du chauffeur de taxi scorsesien (Taxi Driver, 1976) connaisse la seconde chance d’une romance, celle que lui apporte sur un plateau, au propre et au figuré, la serveuse affectueuse du symbolique restau, cara Cara qui n’en reviendra pas de découvrir la véritable identité insensée, saura prendre soin de l’amochée Andrea, fifille intempestive, alcoolisée, kidnappée, défigurée, sur le point d’être filmée, derrière une bibliothèque dissimulée, de l’impitoyable papounet. La routine rassurante et tranquille du « premier meurtrier de l’humanité » se voit en effet perturbée à cause en définitive d’un impardonné parricide. Le rituel de la messe, les poches d’hémo piquées à l’hosto, foutues au frigo, l’habitude du bingo, au public apathique, pathétique, faisceau d’esseulés, de gens âgés, déjà déclassés, sur le côté, tout ceci soudain se détraque, en partie en raison d’un prêt non honoré. Ainsi placé sous le triple poids du passé incapable de passer, Jack en devient vite patraque, la violence, a fortiori « faite aux femmes », éclate, le gang dégomme l’ex au téléphone, tabasse un interne, le voisin bruyant, insultant, finit bouffé, les ados à couteau remplacent « l’aubergine au parmesan » et le « porridge », chiche. Henry se souvient de la Valachie, de la légion de Rome, des valeurs, des vertus et des devoirs d’un homme. Le sieur Krawczyk, homonyme du Gérard  national, lui-même âme damnée du diabolique Besson, écrit et dirige en résumé une estimable moralité, la rugosité radicale de Rollins rédimée par la douceur et l’altruisme de Kate Greenhouse & Jordan Todosey. Mâtiné d’humour noir en réponse au désespoir, le conte se clôt, ne met KO.            

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