Le Sourire

 

Um métrage, une image : Jackie Chan à Hong Kong (1999)

Ce qui rend émouvant ce film inoffensif ? Que la mélancolie du si souple Jackie s’y affirme de fait en sujet assumé. Comédie romantique, à baiser aquatique, ultime image du générique, bien sûr adoubé en bêtisier, non comédie d’action, en dépit d’un joli doublé, exécuté au côté du déjà décédé, dommage, Bradley James Allan, d’une baston en bateau, d’une seconde à moto, celle-ci mise en scène au carré, car simulacre sentimental, héroïque, sinon narcissique, Jackie Chan à Hong Kong raconte donc l’histoire, en rose et noir, d’un recycleur coureur, dont ni l’argent, ni l’affrontement, à répétition, par procuration, un peu concon, avec un meilleur ennemi, un vieil ami, un rival cordial, qui, dépité, désirait s’incendier, à l’essence se suicider, qui se confiera illico, arrosé au jet d’eau, ne font le bonheur, ne consolent le cœur. Comme Superman puis Spider-Man, le plus redoutable et réel adversaire soi-même s’avère. Lesté d’une tristesse ramollissant ses biceps, Chan échoue, il perd et se perd, presque il désespère. Afin de lui rendre le sourire, au propre plutôt qu’au figuré, afin de le faire gagner, lui faire regagner le goût de la vie évanoui, il faut que l’irrésistible et lucide Shu Qi, pleine de grâce, de Taïwan se casse, traverse l’espace, découvre vite, douce-amère, que le message amené par la mer, à l’abri d’une bouteille en verre, ne s’adressait pas à elle, hétérosexuelle, mais émanait du très gay Tony Leung Chiu-wai, molto homo et pourtant incomparable à un personnage de Wong Kar-wai (Happy Together, 1997). Lorsque Chan, sous le charme, lui présente la girlfriend de gangster qu’elle représente, elle lui en veut, lui dit adieu, conte de fée fervente écorné, conte défait de piégeuse piégée, d’amoureuse malheureuse, accessoirement de coach tout sauf moche. Le trajet de l’esseulé en sens inversé viendra fissa et hourra réconcilier les séparés, le père gifle et se casse la figure, la mère admire son mecton et verse une larme d’émotion, c’est-à-dire déployer in fine la destinée des âmes sœurs dès l’orée énoncée, sous forme de mythe antique, maritime, magnanime, à dauphin malin. Le prénom, apprend-on, de l’héroïne intrépide signifie oui, alors l’on songe aussitôt à la litanie affirmative sur laquelle Ulysse se termine, monologue de Molly Bloom d’accord avec elle-même, l’amour, le monde, la bouche de Kate Bush, élan entêtant, vibrant, d’une mariée orientée vers la vie, l’envie, capacité sexuée à ranimer une masculinité tourmentée, immobilisée, de manière symbolique échouée sur un rocher à bord d’un hors-bord accidenté. Opus personnel d’émancipation, par rapport à la dorée recette de la Golden Harvest, de distanciation, l’acrobate se croque patraque, au tapis, muni et démuni, essoré, à recycler, en effet, Jackie Chan à Hong Kong ne possède certes la radicalité adulte, endommagée, démoralisée, des ouvrages à venir, New Police Story (Chan, 2004), Shinjuku Incident (Yee, 2009), Karaté Kid (Zwart, 2010), The Foreigner (Campbell, 2017), il en constitue, quand même, le creuset d’authenticité, la matrice apocryphe, le terreau d’anti-héros. Entre deux succès, sympathiques, anecdotiques, aux States (Rush Hour, Ratner, 1998 + Shanghai Kid, Dey, 2000), l’acteur corédacteur et coproducteur, escorté de Vincent Kok, ici déguisé, mis en abyme, en assistant compatissant, collaborateur régulier de Stephen Chow, de la version internationale écarté caméo, se fond dans l’autofiction, amuse sa muse et, mieux, l’émeut. Le duo, en situation, en chanson, suée, sucrée, souligne l’absolue sincérité d’un monument heureusement humanisé, d’une star installée sous un ciel étoilé, d’un type riche déconnecté de la réalité, puisque poissons virtuels, quelle merdique merveille. La fausse cynique se moque in extremis des cercueils en série, ensoleillés, arrivés sur sa rive d’origine, rédaction de déclaration, elle sait qu’elle vient de ressusciter un homme aimable, que son souhait vient en sus de se réaliser. Le splendide sourire de Jackie se transmet aux compatriotes de Shu Qi, acte de foi dans l’émoi, le cinéma, la féminité, la solitude rédimée…

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