Une fille et des fusils


Quelques écoutes estivales…


Depeche Mode/Spirit


Un disque lumineux car d’une noirceur singulière, sans équivalent courant : cela pourrait s’avérer dépressif, complaisant ou suicidaire, ceci séduit immédiatement et stimule constamment. Même si Dave Gahan en solitaire (ou presque) ne démérite pas, les chansons désenchantées de Martin L. Gore, mécaniques, lyriques, mélancoliques et lucides, cartographient un monde absolument désespérant et désespéré – aucun secours ne viendra rédimer, adoucir, notre esprit depuis longtemps blessé, sali, enfui. Si l’on savait, surtout grâce à Kraftwerk, que les machines musicales possèdent aussi une âme, l’art poétique (et politique) de Depeche Mode trouve ici une sorte de sommet. L’édition limitée propose une seconde galette de remixes très anecdotiques + un luxueux livret signé Anton Corbijn, photographe fidèle et drolatique. Pour faire court, il s’agit d’un CD indispensable et de l’un des meilleurs albums parus cette année.


London Grammar/Truth Is a Beautiful Thing


Une collection vite languissante de mélopées planantes consacrées au désamour ; Hannah Reid sait assurément chanter, elle varie les registres et les textures, elle monte haut et descend bas, munie d’une belle voix rauque et d’une sage silhouette de modèle à la Robert Bresson (on pourrait penser itou à Lana Del Rey première période), mais cela ne saurait compenser le caractère monotone des paroles et l’uniformité sophistiquée des compositions, matière sonore parfois orchestrale – renfort du Philharmonique de Prague – en écran peu passionnant sur lequel les mots (les maux) d’une ado guère grandie (guère guérie de ses peines de cœur, on pleure ou point) viennent se projeter dans leur ampleur un brin autarcique, sinon narcissique. Deux ou trois éclats de lyrisme surnagent de l’entreprise, deuxième effort après un premier LP intéressant dont on se demande encore comment il put déclencher un tel enthousiasme critique et public.


Katy Perry/Witness


Quatrième opus et premier ratage pour la talentueuse Katy, récemment lancé sur une plate-forme bien connue, sous la forme sidérante et affligeante d’une émission de télé-réalité avec psychanalyse d’opérette incluse. Katheryn Hudson se sent mal, ne supporte plus sa persona de Miss Perry ? Malgré toute notre estime, on se gardera de compatir à ses tracas de pauvre petite fille riche. Avec son titre judiciaire et religieux, sa pochette hideuse, son féminisme approximatif et son érotisme océanique/gastronomique, ses je t’aime moi non plus convenus et ses découvertes existentielles assez sommaires, son gros son un peu con, sa pelletée de termes français (titres et lyrics), ce disque introspectif ne parvient pas à faire s’accomplir la métamorphose souhaitée ; demeure un single irrésistible, classique instantané, assorti d’une belle ballade d’épiphanie amoureuse en coda scopique. Pardonnons, oublions illico le témoignage à charge, allez.


Rupert Gregson-Williams/Wonder Woman


Bien sûr, le frère de Harry, lui-même familier des frérots Scott ou de l’univers de Joel Schumacher, appartient à l’écurie d’un certain Hans Zimmer, et cela se sent, cela s’entend, dans des morceaux qui brillent davantage par leur acoustique efficacité que par leur richesse mélodique (voire thématique). Néanmoins, le Britannique ne commet pas un travail de mercenaire, et sa partition plaisante recèle des grâces surprenantes – vocalises féminines aériennes ou chœur masculin martial – saupoudrant un ensemble en parfaite adéquation avec le métrage réussi de Patty Jenkins. À l’unisson, à son image, le miroir musical de la guerrière au grand cœur pratique l’idiome hollywoodien et ménage pourtant de quoi préserver sa propre personnalité, à la fois numérique, symphonique, épique, intimiste, délicat et puissant. Sur le no man’s land de la Grande Guerre ou durant le générique de fin à la Maurice Binder, Rupert se fait même un prénom pour de bon.


Hans Zimmer/Dunkirk


Voici une plage – de conflit international, de ville nordiste, of course – qui ne manque pas d’une certaine grandeur. Le sieur Zimmer, capable du meilleur (par exemple son tandem avec Stanley Myers pour Stephen Frears, sa collaboration avec la précieuse et bien trop rare Lisa Gerrard dans une arène scottienne à la Leni Riefenstahl) et du pire (le reste de sa discographie, affirment les mauvaises langues), rempile donc avec Christopher Nolan. Le mélomane retrouvera ici, nulle surprise, des échos des BO accompagnant les odyssées largement surestimées de Christian Bale en Batman, de Leonardo DiCaprio prisonnier de ses songes ou de l’interstellaire Matthew McConaughey. Naguère, en 1991, il remplaçait Basil Poledouris pour une énième adaptation du chien des neiges de Jack London – les mânes du compositeur peuvent reposer en paix, John Williams continuer à écrire sans s’inquiéter : Zimmer ne redéfinit pas l’épique, y contribue cependant, à son échelle partielle.  


En supplément(s), une collection et une communauté dédiées ; enjoy !

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