Le Sang du vampire : Le Docteur et les Assassins
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Henry
Cass.
Pas vraiment de vampirisme, tant
mieux, tant pis, malgré le prologue funéraire et le petit texte de contexte –
Transylvanie, 1874, tout un programme ! – mais comme un précis
d’hématologie, oh oui, dans ce récit original et médical signé Jimmy Sangster,
scénariste associé à la Hammer, débauché par des concurrents moins reluisants, où
un médecin revenu d’outre-tombe, merci au serviteur muet, fidèle, défiguré,
nommé Carl, l’action se situant d’ailleurs à Carlstadt, pas encore croate, doit
soigner son problème sanguin lié au traitement de résurrection. Directeur d’un
asile d’aliénés montagnard, il s’adjoint les services avisés d’un prisonnier
accusé-incarcéré à tort, lui-même docteur spécialiste de la question, a fortiori des transfusions. Sa fiancée,
baptisée Madeleine (en 1958 sortit itou un certain Sueurs froides), déguisée
en gouvernante, incrédule à l’annonce de sa mort, venue l’aider à s’échapper,
découvrira le laboratoire au sous-sol, ses expériences très peu orthodoxes et
sa plaisante parité, puisque le Mengele des Carpates prélève aussi la force de
vie – dirait Tobe Hooper – des femmes, de préférence enchaînées, leur décolleté
bien agrémenté assez olé-olé. Callistratus, quelque part entre Cagliostro et
Dracula, Frankenstein et Jean Valjean (ancien paria transformé en bourgeois
philanthrope sous le patronyme de… Monsieur Madeleine), finira dévoré par ses
propres dobermans, à la manière de Pierre Brasseur dans Les Yeux sans visage,
autre scientifique à chenil alors entiché de greffe faciale et filiale.
En dépit d’une exposition superbe
dans une taverne, tout droit sortie du Narcisse noir ou de Duel
au soleil – sensualité vulgaire/énergique des filles ivres, de la
danseuse gitane pieds nus sur une table, au son d’un air klezmer –, durant
laquelle apparaît d’inoubliable manière le freak
insolite sidérant l’assemblée, épiphanie de monstruosité, de marginalité,
bientôt de romantisme amoureux, variation de saison en Albion de La
Belle et la Bête, nous voici assez loin du bestiaire baroque et
pulsionnel d’un Terence Fisher, plus proche d’une réalisation retenue, apte à
saisir la longueur et la profondeur d’un décor aux allures de château chipé à
Michael Curtiz, en tout cas celui des Aventures de Robin des Bois, sinon à
adopter la frontalité du proscenium,
la caméra placée à la place du fameux quatrième mur invisible, notamment sur le
lieu de travail joliment décoré des ustensiles colorés habituels (le rouge et
le vert à l’honneur à l’intérieur des bulles en verre). L’ensemble du sage
métrage sympathique se caractérise ainsi, méritoire antidote au peu de moyens
deviné, par le soin apporté au scénario, à la lumière (usage de l’Eastmancolor
par Monty Berman, directeur de la photographie et producteur), à
l’interprétation (mention spéciale à la bien nommée Barbara Shelley, courageuse
et délicieuse) à l’unisson d’une fable sur l’altruisme et l’égoïsme, sur la
superstition et la raison, sur la fausse folie et la véritable insanité de
recherches réifiant l’être humain, réduit à un cobaye interchangeable, à un pur
matériau de manipulations et de profanations, même les morts troublés dans leur
sommeil éternel, avant de se venger de leurs tortionnaires installés,
corrupteurs des institutions judiciaires.
Film anglais, donc film de classes identifiées
et de sexualité dissimulée, obsédante, Le Sang du vampire séduit également
par son sentimentalisme glamour ou
tératologique : les amants brillants et bienséants s’embrassent à pleine
bouche derrière les barreaux, parmi une faune à faire frémir n’importe quel
cinéphile de droite, tandis que l’éloquent muet incarne et cristallise à lui
seul tous les réprouvés, tous les déclassés, tous les mis à l’écart de la vie,
de la société, du regard (de façon explicite, il arbore un œil informe), de
quoi ravir Tim Burton avant sa conversion au capitalisme sous les auspices de
Lewis. Sous le huis clos eugéniste, tourné en quatre semaines par un
stakhanoviste anonyme, se tient ainsi le pur mélodrame de la pureté
impuissante, reconnaissable charpente de l’horreur, imagerie organique et
idéaliste abreuvée de sang, de sueur et de larmes (voire de sperme), surtout au
pays de Winston Churchill.
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