Un train pour Durango : Un génie, deux associés, une cloche
Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur
le titre de Mario Caiano.
On doit ce film futile et habile, docile
et gracile, à une belle équipe transalpine : Mario Caiano (Les
Amants d’outre-tombe) rebaptisé William Hawkins réalise, Duccio Tessari
(L’Homme
sans mémoire, Zorro + le scénario de Pour
une poignée de dollars) écrit, Enzo Barboni (Les Amants d’outre-tombe
bis et Django avant On
l’appelle Trinita, Quand faut y aller, faut y aller,
celui-ci dirigé sous le pseudonyme d’E.B. Clucher) photographie, Renato
Cinquini (Le Corps et le Fouet) monte, Riccardo Domenici (encore Le
Corps et le Fouet) décore, Carlo Rustichelli (arrangeur sur Mamma
Roma puis Le Corps et le Fouet, ouais, Six femmes pour l’assassin,
L’Évangile
selon saint Matthieu, Opération peur, Satyricon) compose tandis
que Bianco Manini (Texas) produit ; n’oublions pas l’apport narratif de José
Gutiérrez Maesso (Django à gogo), non crédité. Devant la caméra, Dominique
Boschero (Chi l’ha vista morire?), Anthony Steffen (Sodome et Gomorrhe, Un
ange pour Satan), Enrico Maria Salerno (Été violent, L’Évangile
selon saint Matthieu à nouveau, L’Oiseau au plumage de cristal, Ingrid
sulla strada, Le Dernier Train de la nuit, par
ailleurs doubleur d’Eastwood chez Leone), Mark Damon (Poe par Corman, Les
Trois Visages de la peur mais aussi le producteur du Bateau,
de 9
semaines ½, Capitaine Orgazmo ou Monster) ne déméritent pas, et
gardons-nous de négliger de gouleyants seconds rôles attribués à l’Argentin José
Bódalo, aux Espagnols Roberto Camardiel, Aldo Sambrell et Manuel Zarzo.
Co-production italo-hispanique sortie en 1968, Un train pour Durango,
dans sa VO de studio, dans l’écrin serein de son Scope, résiste bien à l’usure
des ans et conserve un esprit de jeunesse, de légèreté, qui en font tout le joli
prix aujourd’hui.
Cette plaisante parabole sur le vol
en série, sur des arnaqueurs in fine
arnaqués à la façon de L’Arroseur arrosé de Louis Lumière,
se caractérise en outre par une discrète et réjouissante scatologie, de la
balle anale du début aux clés dorées à déféquer. Là, la mort, massive,
illustrée par des massacres abstraits à estomaquer le Peckinpah de La
Horde Sauvage, bien que fi du ralenti, ne se prend jamais au sérieux,
pas plus que le portrait d’opérette du Mexique, territoire alors
révolutionnaire et terrain de jeu au grand air pour adultes jouant à la chasse
au trésor, plus précisément à l’ouverture sans cesse reportée d’un coffre-fort
résistant et récalcitrant. Que l’on nous permette, au passage, la licence plus
ou moins poétique du sous-titre de notre article : deux associés, oui,
assurément, aventuriers désargentés, idéalistes et baisés par la destinée, ou
plus futés, un génie, peut-être, en la personne du mari manipulateur et sauveur,
en costume et en automobile – pas de cloche, cependant, à la place, une fausse
journaliste française pas spécialement moche, même si le roux de la possible
perruque horrifierait la contemporaine Michèle Mercier, déguisée en Angélique.
Plutôt comique que politique, Caiano n’en fait pas trop, il fait s’entre-tuer,
en bonne logique leonesque et farcesque, les drolatiques guérilleros Lobo &
Heraclio, ni loups ni disciples de Héraclite, relecture pleine de désinvolture
du duel d’usage devenu, littéralement, dialogue en hauteur de sourds
suicidaires entre congénères in extremis solidaires. Inutile de chercher
ici, durant une courte heure et demie, un quelconque sous-texte contestataire
ou funéraire, disons à la Sollima ou à la Corbucci. L’allégorie historique,
voire marxiste, Mario la laisse à d’autres, et pourtant de son métrage émane
une saveur douce-amère vraiment italienne, cf. les scènes « nutritionnelles »
dans le train, témoignages du cynisme de survie, de l’adresse de
débrouillardise d’un peuple qui connut la guerre, la misère, les accommodements
fascisants ou mafieux (je ne caricature pas, je vais vite).
Pourquoi penser au Fanfaron
de Dino Risi en découvrant hier soir ce fleuron méconnu et charcuté, raccourci,
à l’occasion de sa distribution française en salles, du western européen acclimaté à la mode sudiste, héritier comme chacun
sait de la comedia dell’arte, alliage local de masques, de ruses, de rires au
bord ou à proximité des tragédies, de naguère ou à venir ? Parce que Un
train pour Durango participe à sa manière de la « comédie à
l’italienne » déjà présente dans les années 50, avant son avènement
pendant la décennie suivante, avant sa persistance assombrie au long des seventies. Gringo et Lucas, avatars suants
et crasseux de Don Quichotte et Sancho Panza, ne possèdent certes pas la
faconde ni la mélancolie des personnages
inoubliables de Vittorio Gassman et Jean-Louis Trintignant ; ils partagent
toutefois leur virée vers nulle part, ils se déplacent en permanence sous un
soleil à la verticale, ils miroitent des traits identifiables, à la fois
universels, internationaux et idiosyncrasiques de la péninsule. Plus
profondément, leur homosexualité latente transparaît dans un ménage à trois et
à quatre avec l’unique femme de la bande (double sens), otage qui mène le bal,
muse qui suggère une explosion de saison, au canon, putain pardonnable – une
pensée pour Claudia Cardinale, veuve morose au lit avec Fonda Henry pour Il
était une fois dans l’Ouest – qui couche avec son ravisseur afin de
mieux l’induire en erreur. Hélène, belle et rebelle, aussi indépendante que la
chère Angie Dickinson, pas encore blonde, chez Howard Hawks (Rio
Bravo, mon coco), embrasse et adresse aux comparses-compères un ultime
sourire, flanquée de son amant au volant, la voiture, véhicule incongru
emprunté à Un nommé Cable Hogue, désormais lestée d’or inaccessible à nos
deux morts de faim en train de s’engueuler, de se poursuivre sans fin.
Avec ses clins d’œil musicaux à
Rossini (l’ouverture renversée de Guillaume Tell), Nino Rota (tendance
Fellini), Bernard Herrmann (écho de l’humour macabre et automnal de Mais
qui a tué Harry ?) et au jazz
mélodique, orchestral, avec son lucratif marché noir de billets ferroviaires,
de surcroît de troisième classe, dans le sillage des injustices et des pénuries
de l’ère Mussolini, avec son romantisme pragmatique, avec sa morgue nordiste, avec
son porte-cigares salvateur, dérobé à la généreuse douteuse, placé sur le cœur
du voleur, inventive réinvention d’un tropisme des accessoires génériques, avec
son guide alcoolisé défenestré, avec son supplice de l’ensevelissement à la
marmite (imaginez un Furyo ironique davantage que
dramatique), avec ses palmiers d’Almería et ses carrières lunaires, avec son
irrésistible roulette russe dans l’obscurité, attablés, tant pis pour l’ancien
soldat déserteur de l’armée des conservateurs, promu un peu trop vite colonel,
occis au hasard, hélas, avec son bain taquin, édénique, au corset érotique,
avec son émissaire supposé, endimanché, à canotier, de l’agence Colt, avec ses revolvers à court de munitions et son
armistice de conciliation, entiché de parité, Un train pour Durango
amuse et séduit, volutes cinématographiques à la superficialité assez
enchantée. Il s’agit en sus, on le disait, dessous la libre panoplie du
« simple » divertissement assumé, d’un portrait en creux, transposé,
de l’Italie d’avant le néo-réalisme, la légende fordienne, traduite avec
irrespect mais sans férocité, sur le point d’être définitivement remplacée par
la chanson de geste satirique, opératique et funeste des films de Leone, sa
révolution à lui évidemment bien plus nostalgique, lyrique et critique, le western lui-même enterré puis sous peu
ressuscité dans l’espace urbain des polars redéfinis par le regard radical du
terrorisme, gauchiste et d’extrême droite. Se rendre à Durango, pourquoi pas,
au risque rapace, diraient Barry Gifford, David Lynch ou Álex de la Iglesia,
d’y perdre ses dernières illusions et d’y rencontrer une perfide Perdita
homonyme…
Commentaires
Enregistrer un commentaire