La Griffe de Frankenstein : The Mortal Storm
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre d’Antony
Balch.
Quintessence de l’humour britannique
– Le
Sang du vampire ni La Poupée diabolique ne manquaient
de drôlerie discrète, certes –, L’Hôpital de l’horreur (titre
original préférable) ose même le désopilant, par exemple dans une scène où le
nain amène (mémorable Skip Martin), passé de l’autre côté, utilise deux corps
assommés par sa mixture aux allures de menthe à l’eau pour atteindre le verrou
d’une porte en effet de prison. Balch (caméo barbu initial) ne rechigne pas au
burlesque (le nanisme, autrefois forme de freak,
avant que le politiquement correct et les bien-pensants Défenseurs de la
Dignité Humaine, à des années-lumière d’un Tod Browning, ne s’en préoccupent)
mais il se refuse à la pantalonnade et sa comédie horrifique ne succombe jamais
au stérile, sinon cynique, second degré, mieux, elle propose une réflexion
politique sur les crimes du passé à l’aune supposée émancipée du début de la
décennie 70. Notre réalisateur – et il s’agit d’un vrai film de cinéaste avéré,
dont chaque plan se caractérise par la justesse du cadrage, par sa durée
équilibrée, par son unisson avec les suivants et les précédents – nous conte en
huis clos campagnard, loin de la boîte enfumée du départ, décor d’une parodie
du glam rock gothique déjà lui-même parodique, Phantom of the Paradise
puis The
Rocky Horror Picture Show retiendront la leçon, une moralité à propos
de sexualité, de société, d’art et d’âge. Dans le jeu sérieux qui ne relève
jamais de l’esprit de sérieux, y compris in
extremis, avec sa coda morale et increvable, on croise des gardiens sans
visage ou presque, parés de cuir noir, de casques de motards immaculés, de
matraques phalliques, aptes à tabasser le chevelu venu, croit-il, se requinquer
au vert, en « vacances au poil » (double sens), après avoir entendu
l’une de ses compositions massacrées avec la complicité silencieuse d’une drag queen
(Alan Watson, co-scénariste !) déguisé en Marilyn (ou en Beef au Paradis
musical et infernal).
Le peu chrétien Christian Storm
(Michael Gough, sosie de John Hurt, à la filmographie parlant pour lui),
scientifique cosmopolite incommodé par les jeunes recrues du bon Staline,
idiotes et imberbes, je le cite, décida de s’exiler en Finlande, de créer en
toute tranquillité un zoo humain
peuplés de pantins – l’opus associe
par conséquent, thématiquement, les deux précités –, par ailleurs recrutés
parmi les prostituées d’un bordel tenu par une maquerelle de Hambourg, sa chère
et sévère Olga (Helen Pollock, comédienne, enseignante et directrice de
théâtre), connue jadis dans sa propre jeunesse estudiantine. Hélas, la ferme
des cobayes bipèdes de l’adepte de Pavlov prend feu, suite à la curiosité d’un
chasseur bercé trop près du mur, et le voici désormais, cramé au dernier degré,
réduit à une bouillie anthropomorphe en fauteuil roulant, sa monstruosité
dissimulée sous un masque de vieux beau naguère séducteur cavaleur, sous la
soie d’un savant malfaisant, à poursuivre ses expérimentations sur le sang neuf
de la nation, jugé sale et digne de gaspillage. Davantage disciple
entiché de Reich que de Freud, il cherche l’orgasme, il maîtrise le mécanisme
du désir mais pas sa conclusion, parfaite cristallisation de l’obsession
sexuelle en Albion, recouverte d’une patine puritaine propice à un accouplement
dans une chambre à la Polidori, aux limites de la tératologie. Face à ce sexe
malade et maladif, la vitalité, la santé de Judy & Jason ne pèsent pas
lourd, risquent de vite disparaître, sort prédit par une association de montage
explicite : tandis qu’ils goûtent à égalité, avec rapidité, aux plaisirs
de la chair au lit, le petit homme creuse dehors une tombe aussitôt remplie,
noces express d’Éros et de Thanatos.
La fille illégitime (Phoebe rebaptisée
Vanessa Shaw, douce comète), en outre nièce de sa tante tenancière, et le clone
de Mick Jagger (Robin Askwith, aperçu chez Lindsay Anderson, Pasolini à
Canterbury, près du phare de Jim O’Connolly), in fine rejoints par un soupirant désespéré (de constater son
amoureuse fraîchement lobotomisée puis violé/flagellée, éducation anglaise
oblige, par l’infâme médecin), ne devront leur salut qu’à l’héroïsme du mini
Frederick, enfant littéralement de putain raccourci par une opération sur sa
péripatéticienne de mère, maltraité depuis. On le voit, si l’on sourit souvent
et constamment devant ce métrage très soigné – superbe direction de la
photographie due à David McDonald et production
design irréprochable signé David Bill,
dans la tradition des productions outre-Manche, même dans un « genre »
désargenté, déprécié –, cependant tourné en à peine quatre semaines, on grince également
des dents, car il s’inscrit à sa façon dans une lignée de colère et de rébellion
générationnelle, bornons-nous à citer les contemporains If.… et Scum.
L’Angleterre devenue bel et bien une maison de fous plutôt qu’un lupanar à l’opium (ou à l’herbe du joint fumé tendrement
à deux au pieu), il convient d’en sortir fissa, un peu à l’instar de Nicholson
mis en camisole par Miloš Forman dans le parallèle Vol au-dessus d’un nid de coucou.
Moins mélomane, quoique, et surtout moins dangereux (« Relax, je ne vais
pas vous violer » lance-t-il à la passagère timide, en jupe courte, du
train, fantôme, bien sûr) que l’inoubliable Alex de Burgess relu par Kubrick via Orange mécanique, Jason veut sauver
sa peau et celle de sa dulcinée, artiste en butte à un démiurge invalide, à une
caricature d’autorité menant son petit monde autarcique à la badine
réglementaire des écoles de garçons (le personnage onctueux de
l’entremetteur/maître-chanteur homo, incarné avec gourmandise par Dennis Price,
Jeeves égaré dans les parages de La Tour du diable, adresse un clin
d’œil amusé à une orientation sexuelle culturelle, personnelle).
L’ami Antony, gay assumé, fan de Bela
Lugosi, sous-titreur de films français, distributeur de La Monstrueuse Parade, Une fille
et des fusils, La Sorcellerie à travers les âges ou
Supervixens,
exploitant de salle, relation de Kenneth Anger, collaborateur de William S.
Burroughs (il souhaitait adapter Le Festin nu flanqué du leader des Rolling Stones), emporté par
un cancer à la quarantaine, prend parti, et nous avec lui, pour ses Wild Boys
délocalisés, sans que ceci empêche la pochade tout sauf décérébrée de
s’aménager de surprenants moments de mélancolie, soulignés par des notes ad hoc, je pense à ces secondes selon
Fassbinder où la momie familiale en train de faire ses malles, finalement
écœurée par l’immoralisme généralisé, redevient un véritable être humain, une
femme seule, âgée, qui tente de sauver sa portée par procuration, ou, dans le
gymnase eugéniste, à la soumission de la maudite Millie, marionnette suspecte,
inanimée, précédemment hystérique, bientôt dénudée, du misérable docteur (on se
remémore alors Jean Rollin). Au volant d’une Rolls-Royce qui décapite, plus
ingénieuse que la DS de Fantômas, donc, et d’un film assez unique, bien
qu’inscrit dans un double imaginaire national historique (l’horreur, les hippies), Balch signe avec La
Griffe de Frankenstein une œuvre élégante et marrante, méritant
assurément son exhumation numérique et la célébration de sa vision au « message »
encore d’usage, a fortiori à l’heure
des rumeurs d’Internet, du divertissement élargi, du storytelling gouvernemental (et électoral), de tous les lavages de
cerveau pratiqués avec notre bienheureuse complicité par les jeunes, les vieux,
les pharisiens, les épiciers, les bienfaiteurs technologiques et friqués de
l’humanité – continuons, peu importe la génération, à nous révolter contre ce
qui nous révolte, à faire un cinéma singulier, qui ne ressemble qu’à ceux qui
le font, dans le fun, la générosité,
la lucidité, l’irrévérence malicieuse et songeuse.
Oui, au sein de cet horrible hôpital
délectable, le spectateur séduit acquière, aimable surprise, une seconde
jeunesse et comme l’envie, en définitive, de rire des mille et un malheurs (ou
horreurs) de la vie, de préférence au final, en route ferroviaire vers de
nouvelles aventures, lesté (réconforté) au passage par une adorable compagne et
un nouvel ami dégourdi ; le monde, même cinglé, continue à tourner, et toi
aussi, mon meilleur ennemi.
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