La Fille qui avait tout : Un éloge d’Elizabeth Taylor


Réflexions à double sens dans mon regard doré.


Acting is, to me now, artificial. Seeing people suffer is real.

I, along with the critics, have never taken myself very seriously.

If someone’s dumb enough to offer me a million dollars to make a picture, I’m certainly not dumb enough to turn it down.

No one is going to play Elizabeth Taylor, but Elizabeth Taylor herself.

Liz Taylor ? J’adore, davantage que Dior à la guise de Charlize, mais pas de la même façon que Vaughan, le gourou autoroutier du Crash de J. G. Ballard, titillé par la star au point de vouloir l’emboutir en accident-performance ultime (Cronenberg adaptateur, autres temps, autres mœurs, se débarrassa de l’obsession personnalisée, un chouïa datée). Britannique en Amérique et l’inverse, nourrie de Science chrétienne puis convertie au judaïsme, voire au sionisme, elle joua longtemps et admirablement son propre rôle, elle sut même y inclure sa médiatique caricature, au fil impitoyable des ans. Celle qui s’exprimait comme un marin, dixit Johnny Depp, qui maniait l’injure et incitait à la luxure, à l’exception notable de Paul Newman, grimé/plâtré en impuissant selon le mignon Tennessee Williams, ou de Marlon Brando, révélé en homo par le salace John Huston transposant l’oculaire Carson McCullers, commença tôt, reçut deux Oscars, se maria huit fois, dont deux unions à la suite avec un certain Richard Burton, lutta contre le SIDA, avec opiniâtreté, par amitié, au côté du mésestimé Rock Hudson, brillant et bouleversant chez Douglas Sirk. Mère amatrice de diamants, malade increvable – remember la cicatrice érotique d’une trachéotomie arborée avec défi en reine égyptienne –, amie de Roddy (McDowall), Monty (Clift), Jimmy (Dean) et MJ (Michael Jackson), muse des Simpson, de Mattel et de la désignée communauté gay immortalisée par Andy Warhol, tu m’étonnes, cette fille de comédienne et de galeriste ne connut jamais la pauvreté, se vit presque élevée par Louis B. Mayer, fi du faux départ au studio Universal, offrit sa virginité, assurent les échotiers, au nanti Howard Hugues, avant ses épousailles pourries avec un magnat de l’hôtellerie ; elle tourna aussi pour la TV, apparut sur scène, ne cessa de s’enrichir en dollars et de rayonner dans la culture classée populaire tout au long d’une carrière étendue sur six décennies et riche de plus de soixante-dix titres.



Elizabeth Rosemond Taylor devint ainsi Liz, diminutif détesté, car aux allures de sifflement, une étoile, une icône, une légende et une célébrité, incarna de manière suprême et superbe le pire et le meilleur de Hollywood, son empire psychique dans la reconstruction postérieure à la Seconde Guerre mondiale et sa ruine financière bien portante à la fin des années 60. Matière et matériau à ragots, sa vie privée constamment à découvert, consœur dans la vraie vie de la douce et vivante Anita de Fellini accompagnée de mille paparazzi, la gamine bientôt anoblie par la Queen grandit avec ses spectateurs, débuta flanquée de Lassie, ne lassa jamais vraiment, se vit affublée ou pas des fétiches du féminisme entiché de cinéphilie et de sociologie. La lynchienne Sherilyn Fenn se risqua, inconsciente, à la singer, pour un biopic télévisé passé judicieusement inaperçu ; Charlie Bukowski, moins résistant que l’intéressée à l’alcool, la méprisa pour tout ce qu’elle symbolisait ; Donald Spoto, biographe émérite, très psychologique, d’Alfred Hitchcock et Marilyn Monroe, raconta son parcours, ses amours, un brin terriens et bovaryens, dans un ouvrage joliment intitulé A Passion for Life. Aujourd’hui, en juin 2017, six ans après son décès, que reste-t-il d’elle, à part la couleur incertaine de ses yeux, des photographies innombrables, une réputation glorieuse et scandaleuse, tout ceci, ses mânes clairvoyants ne diraient pas le contraire, paraissant finalement bien dérisoire, en soi et sous l’aspect de l’éternité, pérorerait un Baruch Spinoza, vestiges nécrophiles d’une époque assez peu regrettée, en tout cas par votre serviteur, qui ne la connut pas, d’ailleurs, d’une mythologie préfabriquée, d’une usine à rêve(s) désormais conçue en cauchemar climatisé, glacé, névrosé, cf. le triste sort de Naomi Watts volontiers égarée sur la route infernale de Mulholland Drive ?



Il reste des films et une certaine idée (esthétique, économique, politique) du cinéma, il reste des images animées, des métrages sans âme, des classiques appréciables ou abhorrés, surtout par Liz elle-même, alors peu éprise, en vérité, croyez-le ou non, à tort ou à raison, de Ivanhoé, La Vénus au vison, Cléopâtre, pour divers motifs recevables et discutables : les enluminures de Richard Thorpe sentent un peu la sciure, sinon le sapin, et la prostitution téléphonique d’un papillon de luxe s’avère largement téléphonée, en effet, tandis que la pièce montée méta de Joseph L. Mankiewicz, brièvement adoubée par nos soins, mérite sa redécouverte, témoignage évocateur, contemporain, de l’émergence de la société spectaculaire dépeinte en spectacle grotesque et funeste. Il demeure une actrice talentueuse desservie par sa beauté, en bonne orthodoxie scopique (même un James Agee n’y résista pas, s’extasia sur la Lolita à l’illusoire mascara). Trop occupé à scruter les frasques sentimentales et saupoudrées de came de l’ogresse généreuse, on en oublierait presque de la louer pour ce qu’elle donne à voir, à ressentir, dans la poignée de rubis détaillés, parfois mal taillés, de sa filmographie, car Liz brille au cœur de ce collier pelliculé comprenant Une place au soleil, Géant, La Chatte sur un toit brûlant, Soudain l’été dernier, Le Chevalier des sables, Qui a peur de Virginia Woolf ?, Reflets dans un œil d’or, accessits en série pour Le Père de la mariée, Allons donc, papa ! et Le miroir se brisa (les plus pervers persistent à chercher la figurante dans le vibrant Quo vadis). Par-delà les personnages, les emplois, les panoplies psys ou les éclairages toujours à son avantage – cela dit, comment oser altérer via l’optique Un si doux visage ironise la vénéneuse Jean Simmons, portraiturée à charge par Otto Preminger ? – se dessine un autoportrait apocryphe, transparent, fantasmé, support de projections et ombre portée-projetée afin de faire écran à une intériorité pourtant exposée, utilisée, dérobée, rémunérée, phénomène paradoxal commun aux actrices suffisamment marquantes pour imprimer leur personnalité plurielle sur film et rétine.



Ni victime ni arriviste, ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, nerveuse ou sereine à la Verlaine, Elizabeth Taylor, romantique et pragmatique, joyeuse et veuve, résiliente et survivante, se présente et se réinvente, se démultiplie dans son unité, miroitée à la Rita Hayworth sublimée-fracassée par Orson Welles au large de Shanghai. Vingt-quatre fois par seconde apparaissent, proches et hors d’atteinte, une figure excessive et lucide, une artiste sincère et publicitaire (de surcroît procédurière avec la Fox), une femme probablement indépendante, attachante et possiblement insupportable, invivable, un réel être humain, par conséquent, irréductible, Dieu merci, à la créature parfaite et monstrueuse concoctée par l’eugénisme soft hollywoodien, qu’elle cristallisa, qu’elle représente, dont elle s’affranchira par sa sensualité (naturelle), sa liberté (d’agir et de penser), sa propension à la destruction (du masque glamour confortable et aliénant). Voilà pourquoi, chère Liz Taylor, vous m’importez encore, vous comptez itou pour votre compatriote Clare Maguire, auteur trentenaire d’un charmant hommage en chanson, citation incluse de votre voix placée, solaire, taquinant le tourmenté Montgomery au sujet de sa nervosité (on peut penser en écho à Greta de Mylène Farmer & Laurent Boutonnat, envoûtante exhumation-célébration sonore consacrée à la rauque Garbo, votre alter ego a contrario). Que le lecteur ou la lectrice n’imputent pas ces louanges peut-être étranges à un retournement (de veste de salles obscures) de tendances estampillées marxistes, à une notoire anglophilie ou à la seule reconnaissance de la valeur des réalisateurs : Elizabeth T., fraternelle et immortelle tant que durera le cinéma, le plaisir d’écrire sur lui, sur celles qui le servirent et s’en servirent, plurent, émurent, amusèrent, interrogèrent, continue à nous parler de nous, de notre âge – et de notre art – de confusion entre les régimes et les genres, mélange jovial et létal de fiction, de documentaire, de voyeurisme et d’épopée, d’idéalisme et de trivialité ; oui, en Liz Taylor, il nous plaît donc de (re)trouver une actrice à vite réévaluer autant qu’une femme d’hier et définitivement de maintenant.



                 

Commentaires

  1. JOSEPH LOSEY " Boom ! " est un film sur le déclin du monde occidental
    Tourné en Sardaigne, le film conte la fin d'une femme très riche, héritière de cinq magnats de l'industrie, qui possède une île de la Méditerranée contre laquelle se brisent, avec force, les vagues. Quand commence le film, un homme sort de la mer - est-ce l'ange, le poète ? - vient à la rencontre de cette femme qui est en train de mourir, qui ne veut pas mourir. " Le corps du film, dit Tennessee Williams, est la confrontation, l'étrange duel entre cette femme qui possède l'île et son bel et inquiétant " cheval de Troie ", qui (...) rend toujours visite aux femmes quelque temps avant le croque-mort... "

    " J'ai complètement pris le contre-pied de la pièce, nous explique Losey. À l'origine, Mrs Goforth était une vieille femme sur le point de mourir et " l'ange de la mort " était un très beau jeune homme, sans doute pédéraste... Cela m'a semblé très peu intéressant pour le film. Maintenant, c'est une jeune femme, détruite par elle - même en même temps que par la maladie, et un homme plus vieux qui est un parasite et qui souhaite tout de même être quelqu'un et faire quelque chose.
    " Ce personnage de Chris Flanders est très ambigu. À la fois un confident et un obsédé ; en tout cas, un coupable... Burton cherchait comment jouer le rôle, et je lui ai dit : " Je pense que tu devrais être amusé. " Et c'est devenu la clé de tout. Ce n'est pas un homme cynique, parce qu'il fait partie de cette même société, mais il est une sorte de commentateur de ce qui se passe et de lui-même. Elizabeth Taylor a trouvé, pour Burton, des idées qui ont enthousiasmé Tennessee Williams : ainsi, dans la pièce, Flanders volait les bijoux, tandis que Mrs Goforth mourait... Elle a suggéré qu'il les jette, dans un geste qui est moins un acte de sainteté qu'un acte d'espoir."

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    1. Pas vu celui-ci mais je connais la BO de Barry et vous itou...

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