La Poupée diabolique : La Femme et le Pantin


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Lindsay Shonteff.


Nulle surprise si l’on songe à Carnival of Souls : un similaire climat onirique et trivial irrigue les deux œuvres, contes de fées funèbres pour adultes autour d’âmes silencieuses en perdition, en suspension entre les espaces et les temps, réunies par un vrai ou un faux accident (automobile ou de pantomime). Sur un scénario écrit en partie et sous pseudonyme par Ronald Kinnoch, par ailleurs producteur des Village des damnés, le pantin – incarné par… une naine ! –, accessoire traditionnel de fantaisies anxiogènes (cf. les récents Annabelle), continue, en bonne logique symbolique bientôt illustrée par Magic, à représenter la part d’ombre du marionnettiste, placée (et commercialisée) en pleine lumière sous les feux de la rampe de la scène londonienne, mais pas seulement : il s’agit d’un personnage à part entière, à la fois pauvre poupée démontable et réceptacle d’un esprit trahi, maudit, asservi par un ancien médecin radié versé dans l’occultisme oriental, accessoirement amateur de vin sicilien. Vorelli, je le veux, en veut à votre volonté, double du réalisateur toujours un peu hypnotiseur, même quand il s’appelle Rossellini, pourtant apôtre laïc de la liberté du spectateur. Faire du cinéma, y compris classé néo-réaliste, revient à diriger le regard, à faire ressentir des émotions prédéterminées, à transformer des individus en personnages, à illusoirement, mécaniquement, animer des créatures de papier et de pellicule (ou de pixels). Ici, en 1964, le magicien (Bryant Haliday, acteur occasionnel, distributeur américain d’auteurs européens et internationaux nommés Antonioni, Bergman ou Kurosawa) se soucie d’argent, signe des temps, et le « Mur de la honte » communisto-allemand voisine avec une chambre de manoir de malade dont la tapisserie s’orne (pas si) curieusement d’étoiles de David.



Comme avec Le Sang du vampire, les deux films vus à la suite en double programme thématique, nous voici en territoire British, cartographie des classes sociales et radiographie d’une libido très encadrée, sinon orientée vers l’homosexualité dès l’adolescence scolaire et son refus institutionnel de la mixité, dès lors visualisée, en catharsis lucrative, sur l’écran du « genre » horrifique. Le magicien qui ne vous veut pas du bien jette son dévolu sur une héritière nationale, la belle, talentueuse et twisteuse Yvonne Romain, précédemment admirée en mère éphémère involontaire dans La Nuit du loup-garou de Terence Fisher. Il ira jusqu’à la violer, sans le secours de l’anachronique GHB ; du reste, elle oubliera tout, ne se souviendra de rien, dans ce métrage alimenté au passé, au témoignage d’une veuve magnanime et magnanienne, à la biographie à (r)établir par le journaliste-protagoniste. Berlin, 1948 : nanti de ce duel indice fourni par l’objet anthropomorphe, notre héros – aux traits de William Sylvester, pas encore enrôlé dans par Kubrick en 2001 ou à bord du zeppelin de Robert Wise – un brin falot et néanmoins perspicace finira par percer le mystère, ou plus exactement par assister à sa conclusion morale. La coda encagée à la Scanners voit ainsi le ventriloque prisonnier de son sujet, le maître dompté puis remplacé par l’esclave, tour de passe-passe hégélien physique et vocal. L’érotisme morbide du métrage rappelle celui du Voyeur, spécialement via la partenaire de l’artiste (Sandra Dorne, remarquable et remarquée), blonde mature aux bas noirs, à la cigarette frustrée, à la soumission d’automate en écho à la première victime du cher Mark Lewis itou réflexif. La pauvre assistante se verra illico supplantée par une jeunette alerte, liquidée par le pantin soi-disant laid. En rime visuelle au hors-champ de l’assassinat, remarquez la tête écrabouillée d’une seconde marionnette, avatar imparfait à l’image de la jeune première, futur urne de son âme pareillement confisquée.



Ici, on baise en bagnole, dans les loges, dans une chambre d’hôtel, en présage à la vulgarité dépressive et distanciée de Frenzy. Fausse barbe et faux patronyme italien, faux cils et fausse idylle – les masques du spectacle et de la mort, voire de l’amour à mort, avec ou sans Resnais à Marienbad, défigurent au propre et au figuré la danse macabre immobile de pantins très humains, comme minés de l’intérieur, spoliés de leur forces vives, par l’on ne sait quel pouvoir maléfique (ou alors par une blessure historique trop sue), irréductible aux agissements du grand garnement, fantômes atones en parallèle à l’effervescence consommatrice, esthétique, ludique et priapique des années 60, surtout au royaume de Sa Majesté. La Poupée diabolique, avec sa précision désargentée, avec sa distribution de bon aloi, avec sa modeste radicalité de mauvais rêve éveillé, fascine assez, bien conduit (discrètes solarisations incluses) par un inconnu à ses débuts, apparemment chapeauté (dixit le producteur Richard Gordon) par son compatriote Sidney J. Furie – du contrôle des esprits et des corps à proximité de la Tamise jusqu’à L’Emprise d’une femme (Barbara Hershey for ever) abusée sexuellement et violemment à domicile, au sein du climatisé cauchemar américain de la fin des seventies, le cinéma anglophone soliloque et portraiture une sensibilité singulière autant que collective disloquée par les séquelles d’Auschwitz, lieu ultime de dépersonnalisation, de réification, d’extermination, et mise à mal par les promesses sinistres du libéralisme capitaliste à la mode Reagan, ère de la boîte à rythmes, de la virtualité boursière et du X domestique en vidéo, simulacres et s(t)imulations à la Baudrillard ou à la Patrick Bateman, American Psycho plus que jamais d’actualité.   



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