Un carnet de bal : Lydia
Première fois, dernière foi…
Un carnet de bal (1937) dialogue donc à distance avec
Pépé
le Moko (idem), La
Charrette
fantôme (1939), Marianne de ma jeunesse (1955), sans
omettre son vrai-faux remake, Lydia
(1941) made in USA. L’un des
meilleurs de l’auteur, ce métrage d’un autre âge accomplit davantage, au cours
d’un écho onirique à celui de Zéro de conduite (Jean Vigo, 1933). Un
carnet de bal carbure ainsi à la nostalgie, à la mélancolie, au
romantisme sentimental, au désenchantement de maintenant, au fantastique à la
française, au féminin, à la fois mental et trivial. Contrairement à Ettore Scola
(Le
Bal,
1983), Julien Duvivier ne se soucie de sociologie, de chronique historique, il
opte pour plusieurs épisodes reliés par le regret, une tonalité souriante et
attristée. Veuve en vadrouille, Eurydice endeuillée, Christine croit pouvoir
ressusciter le passé, a fortiori magnifié, fantasmé, fissa elle
comprendra que cela ne se peut pas, à part au cinéma, ou si l’on s’appelle
Proust Marcel, ou si l’on s’adonne à l’opium,
tel De Niro chez Leone (Il était une fois en Amérique,
1984). Environ vingt ans après, aux mousquetaires de Dumas mes amitiés, elle
conviendra de ne condamner ses cavaliers éventés, elle rédimera le suicide et
la mère cinglée (fiévreuse Françoise Rosay) du premier, en prenant sous son
aile, presque à son bras, boucle bouclée de début en (bonne) société, l’enfant
orphelin du dernier (Robert Lynen, Poil de Carotte au ciné, 1932, puis
résistant fusillé). Il s’agit en résumé d’un mélodrame maternel jamais à la
truelle, écrit en excellente compagnie, citons les noms des co-scénaristes Henri
Jeanson, Yves Mirande, Jean Sarment, Pierre Wolff, Bernard Zimmer, incarné par
un casting choral ad hoc,
Harry Baur, Pierre Blanchar, Fernandel, Louis Jouvet, Raimu, Pierre Richard-Willm
inclus, qui bénéficie aussi d’une artistique et photographique direction à
l’unisson, qui de William S. Burroughs, Michael Caine, Graham Greene suscita
les disparates admirations.
La séquence suivante cristallise
toutes ces qualités, condense la virtuosité du styliste et stylé Duvivier. En
trois minutes d’étiré tumulte, le réalisateur majeur nous fait pénétrer à
l’intérieur du rêve éveillé, envapé, de l’aristocratique et somnambulique Marie
Bell, notre sorte de Béatrice dantesque en train de visiter l’Enfer doux-amer
de la masculine médiocrité. Musiquée de manière inversée par l’aimable Maurice Jaubert, le compositeur de Clair & Carné, de L’Atalante (1934), de La
Fin du jour (1939), du nécro(phile) François Truffaut, cette dream sequence, comme la désigne l’édition Criterion, constitue un modèle
de réalisation, d’utilisation du son et de la surimpression, un remarquable et
remarqué moment, dont chaque plan possède prestance et puissance. Les
bourgeoises en robe blanche et les mecs en costards noirs effectuent sous nos
yeux éblouis et ceux de l’héroïne à moitié endormie, projection privée sur
paupières baissées, une fantomatique et formidable danse macabre, grâce de
disgrâce, orchestre décapité en clair-obscur éclairé. Ni Vincente Minnelli (Madame
Bovary,
1949), ni Luchino Visconti (Le Guépard, 1963), ni Michael
Cimino (La Porte du paradis, 1980), spécialistes itou des trois temps, Duvivier
nous donne néanmoins et en définitive à voir la même histoire que ses
successeurs à la hauteur, valse de valeur, « grise » et grisante,
lente et lancinante, secondes suprêmes de majesté dévastée, de conscience
explorée, de collectivité accolée à l’individualité, de funèbre, sinon funeste,
féminité. Christine crie au « sacrilège », son ami mélomane,
accompagnateur in fine raccompagné, la somme de se
réveiller afin d’aller se coucher, contradiction en situation, énoncée au sein
d’une somptueuse demeure, aux airs avérés de solitaire et stérile mausolée.
Dix ans plus tard, le Joseph L. Mankiewicz
de L’Aventure
de Madame Muir (1947) revisitera ce mélange plein d’élégance, de figée
fulgurance, de désespérance et d’espérance, avec son propre conte d’amour et de
mort, d’homme et d’horloge, d’eau d’ici et d’au-delà, s’il te plaît, suis-moi, une
fois encore, mon trésor, allons danser, nous enlacer, en esprit, pour
l’éternité.
Belle inspiration et bel hommage ! : "La séquence suivante cristallise toutes ces qualités, condense la virtuosité du styliste et stylé Duvivier. En trois minutes d’étiré tumulte, le réalisateur majeur nous fait pénétrer à l’intérieur du rêve éveillé, envapé, de l’aristocratique et somnambulique Marie Bell, notre sorte de Béatrice dantesque en train de visiter l’Enfer doux-amer de la masculine médiocrité. Musiquée de manière inversée par l’aimable Maurice Jaubert, le compositeur de Clair & Carné, de L’Atalante (1934), de La Fin du jour (1939), du nécro(phile) François Truffaut, cette dream sequence, comme la désigne l’édition Criterion, constitue un modèle de réalisation, d’utilisation du son et de la surimpression, un remarquable et remarqué moment dont chaque plan possède prestance et puissance."
RépondreSupprimerEn forme de clin d'oeil cinématographique à la viennoise : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Veuve_joyeuse_(film,_1925)
http://operetta-research-center.org/erich-von-stroheims-merry-widow-staatsoperette_dresden/
Brève bio du virtuoso von Stro en VO :
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=a8RdMSIG2cc