Eve of Destruction : Hommes, femmes, mode d’emploi
Veille de vide ? Divertissement lucide…
Petite pépite portée par une
dédoublée Renée Soutendijk, cet item
méconnu mérite d’être reconnu, en raison de son scénario assez subtil, co-signé
par Yale Udoff (Enquête sur une passion, Nicolas Roeg, 1980), certes
desservi par la mise en forme fonctionnelle de l’ex-clipeur britannique Duncan Gibbins, auteur du (trio) molto
hétéro Careless Whisper de George Michael, d’ailleurs décédé incendié
prématuré, ton chat au milieu des flammes de California chercher tu n’iras. L’actrice irrésistible du Quatrième
Homme (Paul Verhoven, 1983) incarne donc, littéralement, à chaque plan
éclatant de sa beauté, de son talent, un robot bientôt loco et une scientifique
pas si amnésique. Film féminin propice à séduire les cinéphiles féministes, Eve of Destruction (1991), à ne pas confondre avec la protest song homonyme
immortalisée par Barry McGuire, appréciez au passage le jeu de mot anglais sur
le prénom très connoté, aussi intitulé en français L’Ange de la destruction,
contradiction d’occasion, commence comme The Truman Show (Peter Weir, 1998)
et se conclut comme Crocodile Dundee (Peter Faiman, 1986), c’est-à-dire dans le
métro (de New York). On y retrouve d’autres retrouvailles, encore entre un
homme et une femme, un peu opposés, beaucoup rapprochés. Cette fois-ci, la
dame, idem blonde, pas sans merci,
soutient le spécialiste blessé, survivant dessillé, noir de peau, clair de
cœur, entraide en définitive consensuelle plutôt qu’à la truelle, qui renverse
les rôles en douceur, merci, « docteur », dont le pacifisme apaise la
guerre des sexes, sourire interracial en coda made in USA. Auparavant se déploient une course-poursuite
anatomique, atomique, un parcours de désamour, où s’accumulent les connards à
massacrer, surgissent les insultes sexuées.
Sorte de Terminator (James
Cameron, 1984) ou RoboCop (Verhoeven, 1987) transgenre traversé par les « pensées »,
les « sentiments » et surtout les « fantasmes » pressants de
sa créatrice, in extremis de son exécutrice, modelée selon ses traits, Eve VIII va
vite, ne s’emmerde de morale, fait parler les armes, tropisme d’imagerie et
tendance étasunienne, on le sait. La « salope » impitoyable coupe
ainsi le sifflet (et la queue, malheureux) à une meute de mecs minables, déterminés
à lui nuire, avides de prendre leur plaisir, au prix du pire. Braqueur de
banque, branleur de bar, conducteur invectiveur et friqué font fissa les frais
de sa furie de haute technologie, personne ne s’en plaindra, pas moi en tout
cas, tandis que resurgit le souvenir d’un féminicide intempestif, auquel
répondra un parricide presque accidentel. Témoin de la mort de sa mère causée
par son père alcoolisé, interprété par un Kevin McCarthy non crédité, autrefois
type en proie aux copies cocos de L’Invasion des profanateurs de sépultures
(Don Siegel, 1956), notre héroïne, elle-même divorcée, maman d’un garçonnet, ne
s’en remet pas, le métrage à surmonter son traumatisme servira, puisque le ciné
US, genré (sens duel) ou non, s’apparente souvent à une séance (vocable idoine)
de psychanalyse, à une (en)quête existentielle, on renvoie vite vers (la
guérison de) La Maison du docteur Edwardes (Alfred Hitchcock, 1945).
Le passé ne saurait passer, la violence (conjugale, martiale) s’évacuer, les
prédateurs doivent payer, l’androïde humain, trop humain, si sexy et guère serein, devient une mater dolorosa, une menace nucléaire, une protectrice exterminatrice,
oxymoron maternel que cristallise une image anthologique, emblématique, la
nouvelle Eve en sinistre majesté, en train de porter son fiston apeuré, kidnappé,
en train de flinguer à satiété (on cogite illico
à Commando,
Mark L. Lester, 1985).
Gentiment misogyne, le personnage
expert en prise d’otage de Gregory Hines professe un « scepticisme »
de saison à l’encontre des machines, coûteuses, dangereuses ou non, il appelle
ses hommes (terme masculin, parce qu’ils le valent bien) intervenus, descendus,
ressuscités, rappliqués, à des « apparences » se défier, les entraîne
durant un gigantesque jeu de rôle qui dut déplaire à la communauté mexicaine, amen. Sa relation avec Eve au carré, à
propos de laquelle il veut tout savoir, amitiés à Mankiewicz (All
About Eve, 1950), évolue, bienvenue, il en vient même à poser sa main
sur la sienne, geste sensible, pas sensuel. Les adversaires d’hier, rendus par
le sort et la mort solidaires, affrontent au final la créature dickesque,
autant inquiétante qu’émouvante. Si Méduse ne devait être regardée de manière
directe, Eve VIII doit être détruite via
un aveuglement, juste à temps, neuf secondes avant qu’elle n’explose, bombe quasi humaine, assurément souterraine,
rencontre d’une Eurydice aux allures de Némésis et de la fameuse folie philosophique
de Frankenstein. Jamais réactionnaire, toujours sincère, Eve of Destruction met en
parallèle le conflit de sexe et de contexte, de prétexte, « Irak ou Libye »,
pardi, réifie le corps factice afin de mieux l’érotiser, de duper nos sens à
l’insu de notre plein gré, exercice réflexif transposable à la gymnastique
classée X. Sous le suspense minuté,
bien mené, bien éclairé par Alan Hume, renommé DP, pour la Hammer, Bond,
Disney, pour Lucas (Le Retour du Jedi, Richard Marquand, 1983), Kontchalovski (Runaway
Train, 1985) ou Tobe (Hooper, Life Force, 1985), bien musiqué par
Philippe Sarde délocalisé, entre Téchiné (J’embrasse pas, 1991) &
Tavernier (L 627, 1992), se dissimule à peine un mélodrame pertinent, nous
parlant maintenant.
Les femmes fatales n’existent pas,
n’existent qu’au cinéma (en littérature, acclamée, obscure), il n’existe que
des femmes imparfaites, fortes et faibles, parfois indéfendables, infréquentables
et heureusement rassurantes, (sur)vivantes, tournées vers la vie, aux hommes,
eux-mêmes magnifiques et horrifiques, passionnants et désespérants, audacieux
et nauséeux, le fardeau des idéaux, la maladie de la mélancolie, je schématise,
je ne théorise. Eve of Destruction (dé)montre cela, dessus ne s’appesantit pas,
ne prend un brin le spectateur ni la spectatrice pour des crétins. Son
conservatisme à la fois de surface et assumé – une femme enfante, elle
n’enterre, ou alors elle se détraque et sème le désastre en vénère guerrière –
s’associe à un lyrisme symbolique en sourdine, spéculaire et spectaculaire,
familier reflet d’effroi, mon émancipé sosie moi et pas moi, dialogue à
distance, au propre, au figuré, avec soi-même comme irréductible altérité,
mystère démuni de moralité, pas d’intensité, cf. le cri incroyable, formidable,
poussé, proféré, du creux de (la carapace) l’habitacle en direction de l’utérin
conduit de la colonne vertébrale et jusqu’au cœur du réacteur, après le trépas
du yuppie pourri, écrabouillé en choc
latéral, cri primal de naissance, de renaissance, de jouissance et de
souffrance, déclenchant la charge létale, le compte à rebours du dernier jour. Échec
critique et public, édité-exhumé voici une dizaine d’années en DVD, ce conte
pas con revisite en sus, à sa modeste et estimable façon, les affres de Sueurs
froides
(Hitchcock, 1958), car, à l’instar du divisé Vertigo, itou situé du côté
de San Francisco. Dépourvu de préjugé – la femme au fourneau, pas au labo, à
s’astiquer le clito ; science sans conscience et compagnie rassie –, le
film au fond se soucie d’intime crucial et de défense nationale, de
transmission sur trois générations, sur un « projet » de production,
de maltraitance et de résistance. Dispensable B série ? Agréable allégorie.
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