Le Lien : Bergman Island
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre d’Ingmar
Bergman.
Leçon de réalisation, de rédaction,
d’interprétation, d’utilisation du son, des cloches écoutez la ponctuation à
répétition, pas de misérable morale, pas de conduite convenable à deux balles, Le
Lien
(1971) commence en silence, presque à la Persona (1966), se place sous le
signe des alliances dédoublées, dénouées, au propre, au figuré. Début de deuil
absolu à la Camus, donc, car mort maternelle liminaire, dommage pour
l’affrontement partagé, en reflet, de Sonate d’automne (1978), puisque
pleurs à l’écart, dans le noir, auquel succède un marivaudage de jardinage,
vaudeville visualisé, à développer, à dévoyer. On y voit le suave von Sydow
(re)jouer aux échecs, comme au cœur du Septième Sceau (1957), on y
aperçoit déjà le spectre de la Shoah, à l’affiche fissa de L’Œuf du serpent (1977),
reptile mural ou mental, Vergerus en sus. Chronique impressionniste ponctuée de
Scènes
de la vie conjugale (1974), mélodrame d’adultère lui-même muni de Cris
et Chuchotements (1972), surtout ceux de l’amant, métrage méconnu
méritant d’être mieux connu, voire reconnu, Le Lien ne vaut pas rien,
tant pis pour son symbolisme scolaire, surligné, de statue mariale dévoilée,
dévorée, son épilogue abrupt, énième et ultime dispute, où s’éloignent les
protagonistes et l’objectif. Maître de la mise en images des visages, davantage
à la Dreyer qu’à la Leone, traits sacrés à la scandinave versus masques merveilleux et monstrueux de tragi-comédie d’Italie,
Bergman filme et magnifie une fois encore l’esprit et le corps de Bibi
Andersson, dont le (pas si) sage personnage entre deux âges, deux hommes, deux
milieux, s’avère vite attiré, « déstabilisé », par un étrange
étranger, un Américain point mesquin, quoique, ne s’aimant pas assez afin de suffisamment
l’aimer.
Entre la femme au foyer un peu
désespérée, installée, ennuyée, le Juif « infantile », orphelin
chafouin de sa maman d’antan, Meursault bis,
le courant passe, le contact s’efface. Le titre français met en évidence la
relation de dépendance, de distance, il congédie la dimension sensuelle,
essentielle, émotionnelle, du The Touch de l’intitulé
anglais. Lorsque le « professeur » dépité, médecin malmené, de la
parole et du secret révélé armé, probablement au courant de Karin à côté, vient
se « ridiculiser », « s’humilier » auprès de l’archéologue
morose, à crâne à la Hamlet, ce dernier lui recommande,
ironique ou « agressif » suivant la masculine perspective, d’être « touchant »,
tout sauf un jeu d’enfant, rentré au frileux foyer, auprès de son épouse
parangon de « loyauté », pourtant par ses incessantes requêtes « contrainte »
de rapido rappliquer, de se faire gifler, foutre à la porte pour avoir bu et
fumé. Lucide et « indécise », fidèlement infidèle à la Stefania
Sandrelli, oh oui (La Clé, Tinto Brass, 1983), Madame aime le SM ? Disons qu’elle
apprécie le colérique et à « colique néphrétique » David, excellent
Elliott (Gould), mec mélancolique et sémite, aux tendances suicidaires à la
gazinière, motif narratif que notre médiocre modernité estimera très politiquement incorrect, peut-être « abject » à la Jacques Rvette. Lesté
du prénom de la maman de Bergman, Karin ainsi s’extasie et déprime, topless contre, tout contre, la pourvue
pilosité ou la barbe rasée du survivant désarmant, épuisant, exotique, exilé. Pendant
ce temps, les corbeaux écrivent au creux de la « petite ville »
tranquille des lettres « bien sûr anonymes » et le regard de Maria,
la fifille nubile, jamais enrhumée le samedi, histoire de sortir, « permission
de minuit » à demi, condamne David, attriste sa génitrice, fait resurgir
le souvenir de la gamine guère magnanime de l’ascenseur à terreur de Pulsions
(De Palma, 1980), film au féminin qui défrisa les féministes US, qui décidèrent
d’y discerner une misogyne moralité, de trompeuse au sexe possiblement
contaminé par une MST, à la face assurément défigurée au rasoir effilé, de
travelo de giallo.
Auparavant, plaisamment, Karin
décrivait sa svelte silhouette un brin à la Brigitte Bardot (Le
Mépris,
Jean-Luc Godard, 1963), se posait à haute voix moult questions pas à la con, de
quoi contrarier son marxiste étalon. Récompensée à Belgrade, l’admirable Andersson
s’active, ménagère en pleine lumière, parmi l’appartement déprimant
l’initiative ludique prend, ne prend pas la pilule, pas de « risque »
au lit, pardi, tombe in extremis enceinte, mince. Elle ramasse des pommes, elle ôte sa culotte, « Ne me
regarde pas ! » lui ordonne David en train de la pénétrer, de se
détester, pas de préliminaires, bienvenue dans mon enfer, elle colle des
photos, à côté de son francophone marmot, cinéphile déconfit par un item où « ça parlait trop d’amour »,
elle verse des larmes moins amères que chez Fassbinder (Petra von Kant, 1972).
Bergman multiplie les miroirs, filme de façon frontale, sur fond noir,
Andersson & Gould déclamant leurs missives, pratique la profondeur de champ
de surcadré, domestique et intime éloignement, surdécoupe une conversation
téléphonique, l’interlocutrice, agitée, rassurée, prise de face et de profil(s), sous trois angles différents, montés en même
temps. En résumé, voici le récit d’une autarcie, d’une envie de vraiment vivre,
d’une obsession à défaut d’une rédemption, d’une forme de maternité adulte,
doté d’un tendre et tendu tumulte, d’une tentative modeste, jamais malsaine, de
triolisme à la suédoise, c’est-à-dire ouaté, diplomate, pacifié. Cependant
David demande « pardon » par avance, marche à l’ombre, file à
Londres, laisse derrière lui des pièces vides, des photos figées, pas dénudées, des « orchidées » se contenter, le poème explorer, un verre d’eau à boire, à briser, douleur de la paume en baume sur celle
du cœur. Sommée de choisir, rester, partir, Karin rencontre là-bas sa sœur Sara, twist
psychologique, famille fatidique.
En menues minutes, Sheila Reid, hospitalière, vénère, alcoolisée,
« atrophiée », enfumée, d’une singulière intensité, fait forte impression, accumule les interrogations, réoriente la fiction.
Soudain, avec douceur, elle porte sa main immobile, aux muscles malades, à ses
lèvres pâles, en réponse au geste précédent de la rivale faisant semblant, à
domicile, gare au perspicace Andreas, de déceler sa labiale « plaie ».
Les types ne font certes de la figuration, mais Le Lien précise durant ce
superbe instant que tout se joue en définitive entre elles, femmes matricielles
et mortelles, alpha et oméga des délices, des dégâts. David déménagera, « ne la quittera », Karin, allongée sur le sol, pas drôle, le retrouve vite avant son
cours d’italien, parce qu’elle le vaut bien. Au sein de la serre,
nul mystère, une proposition universitaire, une caméra portée, le « pauvre
David » se dit modifié, la « bourgeoise » le toise, rétorque
qu’elle ne veut (sa)voir, qu’elle doit (re/sur)vivre selon les
« raisons » de son « devoir ». « Mensonge » ou
non, le film se finit sous la pluie. Insulaire insuccès, économique et
critique, Le Lien nous lie et relie à lui, drame de chambre à coucher, à
découcher, de présent aux prises avec le passé, d’une héroïne non hiératique,
qui doute, hésite, sait, se tait, boucle (dé)bouclée en écho de
chaos à la Liv évanouie de Persona, voilà.
Commentaires
Enregistrer un commentaire