Chantons sous la pluie + Orange mécanique : La Joie et l’Effroi

 

Globes lumineux, danseur fiévreux, acteur improvisateur, propagande de la peur… 

Une femme raccompagnée à sa porte, une autre qui hésite à ouvrir la sienne : on passe ainsi d’une première décennie à une seconde, on délaisse la douceur, on adoube l’immonde, à la rhétorique hollywoodienne se substitue celle kubrickienne. Mais il s’agit aussi, là et ici, de cinéma méta, d’un art (se) réfléchissant sur soi, d’un rappel (silencieux) puis d’un rapport (sexuel) à la loi. D’un Stanley (Donen) au suivant (Kubrick), la comédie nostalgique cède sa place à la dystopie drolatique, la grâce de Gene Kelly disparaît devant la disgrâce de Malcolm McDowell, une nuit éclairée s’efface face à l’intérieur d’une maison aux miroirs et aux murs immaculés, à l’instar du costume d’Alex, tant pis pour le gris de Don. Cependant la caméra chorégraphie en écho, presque en stéréo, des trombes d’eau en studio, un domestique chaos, saisit l’allégresse de deux hommes lestes, figure la climatique transfiguration due à l’amoureuse émotion ou la ludique défiguration imposée à  un couple victime ensuite de viol, auparavant de hom(m)e(s) invasion. Chez le contemporain Peckinpah (Les Chiens de paille, 1971), idem Américain délocalisé en GB, on ne sourit, on se soucie, on souffre, on suffoque, on sent la sueur, le sperme, le sang et en conclusion une sidérante et sidérée sidération ; chez Kubrick, le spectacle de la violence, « ultra » ou pas, pas encore chantée par la chère Lana (Del Rey), demeure à distance, se déroule disons au carré, sous nos yeux et ceux du mari malmené. Il faut le réaffirmer, n’en déplaise à tous les balèzes censeurs de France et d’ailleurs – la violence au cinéma n’existe tout simplement pas, fi du mythe du snuff movie, sa réalisation, comme « réaliser un film », « réaliser un rêve », relève de la représentation, pertinente ou non, et Stanley K., spécialiste de tout cela, cf. sa filmographie farcie en conflits, le savait mieux que vous et moi, oui-da, on renvoie vite vers la mise en abyme du « traitement Ludovico », séance sanitaire de ciné écarquillé, à base d’images d’outrages supposées l’impénitent délinquant désormais dégoûter, redresser, conditionnement d’abord réussi, in extremis démenti, pardi, retour du naturel au galop illico.

La vraie violence, la seule d’importance, se situe et s’insinue au sein de nos sociétés si civilisées, des espaces publics et privés, s’y multiplie et s’y dénomme en série, violences « symbolique », « économique », « conjugale », « au travail », « urbaine », elle « harcèle ». Tandis que des manifestants opposés au « passe sanitaire » confondent un pharmacien avec un « collabo », l’actuel ministre de l’Éducation nationale envisage déjà des élèves non vaccinés à « évincer » à la rentrée, deux exemples à mettre dos à dos de dureté lexicale, fondamentale, en regard desquels le double saccage de DeLarge semble bien bénin, un brin enfantin, et l’on se souvient dans la foulée que Docteur Folamour (Kubrick, 1964) devait se terminer par une belle bataille de tartes à la crème, amen. Le Pouvoir d’hier, a fortiori celui d’aujourd’hui, ne saurait se contenter de contrôler les esprits, il aspire encore à (s’)annexer les corps, Foucault, philosophe so seventies, s’en affolait jadis, voir La Volonté de savoir. Or Chantons sous la pluie (Donen & Kelly, 1952) et Orange mécanique (Kubrick d’après Burgess, 1971) donnent à (re)voir et à s’émouvoir d’une ivresse anatomique, voire cathartique, d’une danse aux allures de délivrance, en partie au prix de la souffrance (d’autrui), d’un exercice physique individualiste ou collectif en train de faire la nique (de niquer ta moitié, de la gifler, de te flanquer des coups de pieds répétés) au statique, au poétique, au politique. Si le gentil Kelly finit fissa de faire l’imbécile, donc de danser sous sa pluie jolie, espiègle au milieu d’un décor en or de femme fontaine, au lampadaire phallique, à la vitrine qui invite, rappelé à l’ordre par un policier muet emprunté à Charlie Chaplin (Le Kid, 1921), le cruel McDowell n’en fait qu’à sa tête, plutôt selon sa canne et sa queue, assorti de séides quasi invisibles, figurants de méfaits infamants et toutefois stimulants, délesté du pénible « principe de réalité », dévoué à jouir, à se réjouir, de l’emprise et de l’empire du « principe de plaisir », freudisme infantile et pléonasme à la tasse (de thé, Albion oblige).

Au final et en définitive, l’effroi, en transfuge, traverse vers ce côté-là, jugule la joie, en dépit du pied de nez du parapluie offert in fine, alors qu’une joie régressive, pas si insolite, s’infiltre du côté de l’anti-héros de Burgess & Kubrick, sale gosse avec lequel personne, surtout pas le cinéaste, lui-même control freak assumé, renommé, ne songe certes une seconde à s’identifier, sur son sarcastique sort s’apitoyer, on ironise, on ne fraternise, et pourtant parlant, chantant, quitte par la suite à déchanter, à nos « pulsions », à la De Palma ou non, de consommation, de destruction, à nos instincts, estimés sains ou malsains, d’irrespect, de propriété improvisée, instantanée, à bas ta bibliothèque obsolète, à moi ton épouse écarlate, au propre, au figuré, à découper, à dénuder, à profaner parmi l’atroce gaieté, tu me comprends, maintenant, en gros plan ? Que l’on opte en faveur de travellings graciles (à la grue), souplesses à l’unisson, de la star chorégraphe, de la machine mobile, pour une plongée sur le visage de Gene, extase de romantisme musical et d’innocence factice, telle celle de la sainte (Thérèse par Le Bernin, parce qu’elle le vaut bien) ou de l’actrice de X (money shot de foutre ad hoc à foutre à la flotte) ; que l’on carbure aux cadres au cordeau, y compris en caméra portée, à la contre-plongée atterrée, au grand angle qui dérange, rend la perspective étrange, le spectateur/auditeur, accessoirement mélomane, entend différemment la même « petite musique » magique et maudite, avise la victoire provisoire, illusoire, éphémère, douce ou amère, de silhouettes suspectes, inoffensives ou nocives, de types atypiques, un instant insoumis au fourmillement des flics, du présent, du passé, de la médecine, du ciné. En 2021, on doit présenter ses papiers, son vaccinal laissez-passer, visite de gendarmes en province à la clé, afin d’assister à une séance, quelle effarante France, et les « soignants », applaudis au début de la « pandémie », deviennent dorénavant, si récalcitrants à s’inoculer le remède homologué, expéditif, lucratif, des boucs émissaires suspendus sans assurance(-chômage) ni salaire, quelle misérable misère.

Au siècle dernier, à des années-lumière de la démocratie délétère selon Monsieur Macron, encline à la coercition, à la discrimination, à la paupérisation, Gene & Malcolm, meilleurs ennemis, modèle (de légèreté) ou démuni (d’humanité), continuent à dialoguer durant une (in)certaine éternité, une parenthèse nietzschéenne, paire en souvenir avant l’arrivée du pire, probablement pérenne, quoi qu’à l’avenir, après l’été, il (nous) advienne…  

Commentaires

  1. L'alambic, 1970 Réalisation : Auguste VELLAND Scénario : Alain Quercy, Musique : Christian Gaubert. https://www.youtube.com/watch?v=-FZSsyAiOYY

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  2. rectification [Film] L’Alambic (1998)
    Réalisé par Jean Marboeuf. https://www.youtube.com/watch?v=-FZSsyAiOYY
    et https://www.letelepherique.org/Catalogue-de-films-527-7193-0-0.html
    Alambic (L') Réalisation : Auguste VELLAND

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    1. https://www.youtube.com/watch?v=uF6gVh_du0E&pp=sAQA
      https://www.youtube.com/watch?v=O3CdrgBCCCY&pp=sAQA
      https://www.youtube.com/watch?v=M7ShUL1qwNQ&pp=sAQA
      https://www.youtube.com/watch?v=7UX7O8uBb0s&pp=sAQA

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  3. Je ne sais pas ce que ça distille par ici avec tous ces alambics, mais il est certain que l'époque n'est pas ni à l'alchimie sociale ni encore à l'alchimie des luttes. Moi je préfère me réfugier sous les trombes d'eau nécessaires aux joyeuses claquettes de Kelly et terminer en bout de film sur les jambes de Charisse.

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    1. Un refuge, la cinéphilie ? Parfois, le ferment des flammes...
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2016/03/le-discours-dun-roi-presences-de-lutopie.html
      Cyd by Nic :
      https://www.youtube.com/watch?v=I8aZBb36MUM
      https://www.youtube.com/watch?v=pFxMvp4ZL5Y

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