Lola, une femme allemande : Les Rapaces

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Rainer Werner Fassbinder.

Elle chante, elle enchante, elle déchante, elle réenchante, la Lola de Barbara (Sukowa), parce qu’elle le vaut bien, un peu beaucoup putain, très entourée de « reconstruits » requins. Type à voile et à vapeur, cinéaste sans repos et sans peur, Fassbinder la magnifie, ne la glorifie, l’immortalise au milieu d’une Allemagne « mère blafarde » (Deutschland, bleiche Mutter, Helma Sanders-Brahms, 1980), en effet, de toute façon, quoi qu’elle fasse, d’admirable ou de dégueulasse, malgré la chance de la rance relance, à son discutable « miracle » on dit oui ou non merci, itou en Italie, tentative capitaliste d’effacer la faute impardonnable, pourtant par l’Europe pusillanime partagée, d’une Germanie nazie, d’un spectacle insensé nonobstant réalisé, par la masse apprécié, au moins jusqu’à un certain point, remember la reconstitution au diapason de Lili Marleen (1981), amen. Comme on commémore l’amnésie, révisionnisme sis à l’ombre de manifs en faveur du pacifisme, de l’anticolonialisme, cf. le monument dressé en souvenir des « résistants allemands » et de la Wehrmacht désormais d’attaque, délestée des atrocités du proche passé, la chanteuse malheureuse, in extremis heureuse, puisque en définitive les (deux) femmes décident, l’épouse et la prostituée, l’épouse encore prostituée, voile immaculé de coda à conserver, cherté majorée, amusée, finit par faire partie de la famille infernale, se lamente le moraliste instrumentalisé à l’insu de son plein gré, du bestiaire des notables, « corbeaux et rapaces » lui font une place, lui accordent leur « confiance » féminine, leur « solidarité », leur estime, même si le premier mari, « adorable salaud », s’étouffe et s’esclaffe à l’annonce de la reconnaissance de la gosse précoce, car consciente de la « règle du jeu » des adultes adipeux, aux « mains jamais propres », pissotière ou point, à laquelle il accorde le don d’une « donation », celle du bordel, pardon, du « salon », administré jusqu’à sa majorité par ses improbables parents épatants.


Armin Mueller-Stahl, dessillé à la Sueurs froides (Alfred Hitchcock, 1958), idem mélodrame coloré, sur l’écarlate et le verdâtre porté, moins amusant, néanmoins, un brin puritain, incarne le nouveau venu à l’Équipement, « froid, déterminé », mais aussi « sentimental, cinglé », paraît un petit enfant face à sa sainte d’église, chanson « en canon », souhait à exaucer, « magie » de Marie-Louise, soudain mise à nu, au propre, au figuré, par un strip-tease pudique, en musique, anthologique, clin d’œil au gant de la Rita (Hayworth) de Gilda (Charles Vidor, 1946) inclus, où la superbe, sens duel, Barbara (Madame Gallimard de M. Butterfly, David Cronenberg, 1993) fait feu de tout bois, donne de soi, plan-séquence intense, performance entre désespérance et réjouissance, parachevé sur les épaules du solide, hédoniste, Mario Adorf. Munie d’une mère « gouvernante » aux origines prussiennes, veuve de guerre au racisme soft, femme de « raison » et non dame de vague à l’âme, maman et putain, qu’Eustache le sache, « corrompue » et « plus beau cul (de la Défense occidentale »), sincère et altière, saoule et lucide, souple et sensible, donc contradiction(s) en action(s), à l’instar de Rainer, Lola « s’adapte » à son temps, à ses amants, elle ne perd le sien, elle va de l’avant. En dépit d’un prénom à l’unisson, à demi à la Demy (Lola, 1961), Fassbinder ne se soucie de Sternberg et compagnie (L’Ange bleu, 1930), revisite le téléviseur de malheur de Tout ce que le ciel permet (Douglas Sirk, 1955), ne juge en hauteur son aréopage provincial de piètres « pécheurs », se balance de la déchéance, constate la « collusion » et dépeint le pragmatisme, cédant l’idéalisme, « révolutionnaire » ou « humaniste », aux intégristes, aux opportunistes, aux duettistes von Bohm & Esslin, Don Quichotte & Sancho Panza de l’ère Adenauer, couple alcoolisé, tandem sidéré, par une même rage de décalage du rêve et de la réalité en reflet (dé)motivé.


Film commencé puis terminé sur une photo figée du chancelier, à l’écoute de La Vie des autres (Florian Henckel von Donnersmarck, 2006), qui sait, surplombée d’un titre nostalgique signé Freddy Quinn, film de miroirs et opus de pouvoirs, Lola, une femme allemande (1981) s’avère vite une œuvre majeure, de stase et de douceur davantage que de bruit et de fureur, une leçon de réalisation, de narration, d’interprétation, de la troupe et de l’époque, une radio/topographie de la teutonne hypocrisie, escortée par la tapisserie sonore, en sourdine, du fidèle Peer Raben, composition(s) quasi en continu, à la mode hollywoodienne d’antan, de maintenant. Contrairement à sa consœur Gigi, salut à Colette & Minnelli (Gigi, 1958), Lola n’échoue pas, son union d’occasion, d’émotion, l’autorise à se hisser sur l’échelle de « l’économie sociale (et libidinale) de marché », oxymoron pas si con, énoncé à notre illuminé, « renard » doté d’un regard d’acier, par un journaliste tout sauf marxiste. Lecteur admirateur de Bakounine, débauché, double sens, à bientôt embaucher, le sieur Esslin désire « démasquer » son meilleur ennemi Schuckert, faire visiter à von Bohm la bavaroise Cobourg by night, en ersatz de la Béatrice de Dante, allez. Hélas, tout mal se passe, on renvoie supra, la réunion aux décisives décisions, en répétition, reprise du travelling circulaire, Werner, avorte en nouvelles « propositions », allons bon. Le violoniste very vénère veut « acheter votre putain », « volontiers », répond dare-dare l’entrepreneur-souteneur en costard, à gros cigare, propriétaire d’un paon et père d’une enfant, celle de Lola, oui-da. Le parcours d’amour au long cours s’achève de manière abrupte, par une interrogation de Mariette – refrain du foin, la gamine se tient au même endroit que sa mère naguère : « fille de pute » promise à se prostituer ? – à son papa en apparat.


De ce bonheur doux-amer, impur, d’imposture, le personnage et le spectateur conviendront de se contenter, sinon se désoler. Le paradis, majuscule optionnelle, n’existe pas, ni ici, ni là-bas, le terrorisme gauchiste montrera fissa ses limites, toutefois Lola, une femme allemande, précieux traité (« pacte » faustien, pas brechtien) de résistance, de résilience, sis au creux incestueux d’un cadre acidulé, gentiment nauséeux, ne provoque le désespoir, n’incite au cynisme, ne manipule de pénibles pantins uniquement préoccupés par le profit, les apparences, obsédés par la bagatelle, avides de vin, de rien. Fable affable sur (des réfugiés) la RFA aux prises avec l’emprise du BTP, comédie dramatique conduite en BMW ou Mercedes, conclue selon un happy ending de respectabilité, de duplicité, Lola cite le mélancolique Rilke, s’insère au sein d’une célèbre trilogie, itou co-écrite par Pea Fröhlich & Peter Märthesheimer, que complètent le rapide Mariage de Maria Braun (1979) et le morose Secret de Veronika Voss (1982). L’infatigable et fondamental Fassbinder, reportez-vous à son portrait par votre serviteur, y dessine une inoubliable héroïne, y rend visible la réversibilité des rôles, victime, bourreau, exploiteur, exploité(e), y raconte un conte d’Allemagne, d’une femme de glace et de flamme, y pose la première pierre, presque la dernière (de sa filmographie), d’un édifice certes rempli de malice et cependant marrant, émouvant, stimulant, appréciable toujours au présent. Chef-d’œuvre poétique et politique ? Art poétique et politique à chérir.      

Commentaires

  1. Pushkin's "Scene from Faust" (subtitled)
    "Another segment of the Shveitser film malenkie tragedii (Little Tragedies). This is not actually part of what are usually called the Little Tragedies; Pushkin wrote the scene several years earlier. In the card-playing sequence near the end, four lines from an additional set of fragments left by Pushkin on the Faust theme ("Hush! . . . to pass eternity") are interpolated by the filmmaker, with one line slightly modified. The words appearing on screen at the end, over the image of Pushkin's death mask, ("I am king" etc), are from Derzhavin's poem "God."
    https://www.youtube.com/watch?v=q-BYkREzkk4

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