Joy : Que ma joie demeure

 

Objet joli ? Collection de recollection…

Irréductible à sa risible traduction, l’infidèle et factice Joy (1983) de Serge Bergon, ce petit livre assez sympathique mérite mes lignes magnanimes. « Confession » consciente d’elle-même, dimension méta de « triche » démunie de malice, « souvenirs » du meilleur et du pire, « rangés », rédigés, « histoire banale » et néanmoins « éternelle », presque complexe, peu à la truelle, Joy fonctionne à l’effet de vrai-faux reflet, de Laurey à « Lorey ». À l’orée de l’âge adulte, déjà lourde d’ardeurs, de douleurs, de solitude, de tumulte, l’héroïne déprime, avant qu’un bienvenu billet d’avion ne vienne la sauver de la dépression. Nouvelle vie en Nouvelle-Zélande, Bruce, in extremis, la demande ? Peut-être, on le lui souhaite, à cette fille d’affiches et de magazines, à demi orpheline, amoureuse de Marc, anal-ysée par Alain, jouant avec Joëlle. Aussi grave et allègre que l’Annie aux sucettes à l’anis, la mal prénommée Joy ne ressemble en rien à une fille de joie, idiotisme idiot, elle s’écarte sur un fauteuil de gynéco, elle se fait prendre, pas qu’en photo ou en vidéo, elle rejouit tout de suite et se réjouit de se voir si érotique au miroir domestique ou cinématographique. Alice & Narcisse s’assortissent chez la mince miss, fillette en vedette et en quête, à la Gréco & Queneau, consœur de Swann, le temps perdu ne se rattrape plus, oui-da, Barbara, il immortalise l’intime, il se transforme en tragi-comédie sentimentale, le film à domicile, hom(m)e movie de « vide » et d’envie, fait du bien et du mal, « baise-moi » bien, « mythique » mâle. Durant un instant de saisissante lucidité, comme de son propre corps en or, doré, séparée, l’amante myope remet Marc en perspective, à sa place impersonnelle, en définitive. Â l’instar des cinéphiles, elle s’émeut d’une image, d’un visage paysage qui la dévisage, sauf au moment de l’orgasme masculin « illuminé », traits tendus soudain radoucis, rajeunis.

Les aventures sexuelles s’avèrent autant d’expériences existentielles, une façon de (se) fuir, de s’affranchir, d’à lui revenir, vaincue, convaincue. Joy adoube son « destin », sorte de Sisyphe extatique et triste, elle connaît quasi en coda une épiphanie, l’esclave anonyme, attachée, harnachée, gorge profondée, sodomisée, « accablée et triomphante », apparaît en personnification « pathétique » du « Plaisir purifié », délesté de « l’affectif », de « l’esthétique », du « pudique », de la « volonté », de la « moralité ». Toutefois Joy décide de ne suivre le chemin magnifique et mortel d’O, alors Laurey ne revisite l’émouvant martyre de Pauline Réage, elle préfère l’exhibitionnisme intempestif, en voiture à voyeurs, l’offrande ou l’offense d’une « nuit de démence » à plusieurs, d’un bukkake sans saké, aux « blessures », voire aux éclaboussures, doucement par le bourreau « épongées » après. Candide et intrépide, cœur et cul, tendresse et détresse, en Dordogne et à New York, entre sa mère et sa Margopierre, onanisme et cimetière, mode et guimauve, Corleone à la gomme, tant pis pour le parrain de Puzo, et camionneur protecteur, glory holes et insomniaque magnétoscope, Muriel à la Resnais cramée à la Michaux et mariage illico, grand-mère endormie du grand sommeil et « cyclothymie » ponctuelle, la blonde naturelle, au sein de ses émotions, jusqu’à sa toison, nous entraîne, nous fait sourire, ne nous donne le sombre désir de la maudire. Ni « Héloïse », ni « Juliette », ni Jane Fonda, ni Udy Claudia, la Joy de Joy séduit à sa mesure, modeste, délestée d’imposture, roman d’antan, édité voici disons quarante ans, adieu à l’insouciance de l’adolescence, à la décennie soixante-dix, réminiscence des sens à la recherche d’un sens, dotée d’une estimable mélancolie annonçant celle de la décade suivante, à base de capitalisme décomplexé, de socialisme franco-français, de sida me voilà, de X en VHS, de hits à boîtes à rythmes, d’hygiénisme flashy, de ciné-publicité, Joy ajouter, en effet.

On se doute cependant que les simulacres colorés ne datent pas du présent, du passé, que « Joy Laurey » constitue par conséquent une coquille vide, un transparent pseudonyme. Nul ne saurait se soustraire à la réalité, a fortiori les façonneurs de fantasmes, de fantômes : Jean-Pierre Imbrohoris, auteur guère novateur, jamais commerçant amateur, se tua sur la route, au côté de sa bien-aimée, de leur enfant, de la soumise et surtout juvénile Vanessa Duriès, elle-même spécialiste du bondage et signataire du Lien pas un brin bergmanien, quoique. Ainsi le sudiste décédé, emporté au terme de quarante années, ne put apprécier ou plutôt déprécier les dispensables ouvrages venus vite ressusciter sa protégée, une pensée partagée adressée aux attachantes Brigitte Lahaie puis Zara Whites, Joy trioliste au ciné, Joy cosmopolite à la TV. Joy ne se moque et s’en moque, elle respire, elle soupire, elle inspire, fée forte et fragile, très fellatrice, pas félonne, femme fréquentable au milieu d’hommes fréquentés, CQFD.

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