Le Silence des agneaux : Promising Young Woman

 

Bouffe & Buffalo, délice et supplice…

I’m a little lamb who’s lost in the wood

I know I could always be good

To one who’ll watch over me

Sting

Une jeune femme court dans des bois, au cours du conte à trauma, un loup cannibale elle rencontrera. Comme elle s’active du côté de Quantico, on devine illico son boulot, on l’accompagne sur son parcours de santé d’agent pas secret. De façon assez symbolique et surtout physique, elle arpente une descente en se tenant de toute sa force à une corde, tiens bon, Clarisse, gare à la glisse. Arrivée au sommet, elle prend à peine le temps de regarder autour d’elle, arbres noirs de décharné désespoir, lac patraque, brume lugubre, d’écouter les cris de corbeaux à la Poe, virginale Virginia, oui-da, au sein de ce décor naturel aussi sombre et gris que ses habits, beau boulot du fidèle dirlo photo Tak Fujimoto, un volatile s’envole, le steadicam la frôle, la musique magique signée Howard Shore l’escorte. Le rythme s’accélère, le cadre se resserre, Jodie Foster domine le reste de la distribution de ses prénom et nom, en noir bordé de blanc à l’unisson. Pas encore à Philadelphie (Philadelphia, 1993), du sida et d’opéra récompensé souci, Jonathan Demme filme son effort de face, de dos, de profil, vas-y, ma fille, franchis fissa le filet, obstacle dédoublé, un soleil pâle commence à pointer, exerce-toi sur ton chemin de croix, stagiaire solitaire, policière épaulée par les panoramiques, les travellings circulaires, une caméra complice aux verticales de maléfice. Soudain, au masculin, on la demande, la casquette aux trois initiales internationales nous apprend ou plutôt rappelle le principal. La douleur, ma sœur, tu dois l’aimer, les pancartes placardées, au dolorisme drolatique, assument leur sado-masochisme étatique. Un chouïa de champ, un grand bâtiment, des silhouettes suspectes et des détonations à foison, du béton, du verre et en sus un soupçon de ciel bleu clair : un autre espace se met en place, l’individu se déplace, prend sa place au milieu de la communauté, roman familial et fable des origines d’un pays parfois, souvent, si désuni.

Un zoom avant épouse de Starling, en sueur ma darling, l’émouvant mouvement, à contre-courant. Si les mecs, ses collègues, s’astiquent, pardon, nettoient leurs armes en réunion, parité pacifiée, Clarice, que l’on connaît, que l’on reconnaît, se glisse à la suite d’une dizaine d’hommes pas en uniforme, quoique, puisque identique polo écarlate, n’en déplaise au chaperon porté sur le rouge. Au creux de l’ascenseur en train de se fermer, elle paraît une petite pièce rapportée, juvénile et dévisagée. Cependant pas une trace ici de sexiste ni sexuelle violence, pourtant pas de gang bang dégueulasse accompli par les connards alcoolisés, très excités des Accusés (Jonathan Kaplan, 1988), jupe + flippeur = humain malheur. Pas non plus de troupe d’entourloupe à la mode Syndrome de Stendhal (Dario Argento, 1996), coda d’Asia soutenue, cinglée, selon de secourables et sinistres policiers. Féminine à défaut de féministe, Foster, sur les marches de l’escalier par les notes ad hoc quittée, ne s’attarde à se changer, elle parcourt des couloirs consacrés aux sciences comportementales, que nul ne ricane, elle dépasse des types en costards, dont l’un, cafetière et gobelet à la main, lui adresse, peut-être, un sourire ironique de désapprobation mutique. La voici désormais au creux du bureau cosy de Crawford, solide et en déveine Scott Glenn, on lui propose de l’attendre, elle répond à nouveau d’un « Yes Sir » déterminé, de douceur doté. La lisse dolly suit de dos cette Rosetta de Virginia, qui observe le lieu prestigieux en clair-obscur, mains croisées, cheveux attachés. Jodie/Clarice alors se retourne et découvre quelque chose, en tout cas fait enfin une pause, prend la pose, Shore ressort. Élève oscarisé de Roger Corman, remarquez le fameux patronyme au générique, Demme ne transcende de Thomas Harris le bouquin, il illustre sa traduction avec soin, il pratique en pragmatique l’économique, du plan, de l’instant, de la présentation, de l’exposition, il assiste à l’histoire d’amour terrible et impossible des personnages d’hommages et d’outrages impeccablement, impitoyablement, interprétés par Jodie Foster & Anthony Hopkins.

En définitive, l’ouverture tournée in situ et suggérée par la principale intéressée du Silence des agneaux, thriller trentenaire, multiprimé, à succès, à scandaliser, susciter la controverse avec la mouvance LGBT, à l’instar du roublard et contemporain Basic Instinct (Paul Verhoeven, 1992), jalonne déjà les enjeux du jeu dangereux, annonce à distance, en corrigée correspondance, sa conclusion exotique, sardonique, de sadique en liberté, ensuite en Italie installé (Hannibal, Ridley Scott, 2001).  

Commentaires

  1. Une autre mise en (télé) film acide, issue d'un bouquin : Brouillard au pont de Tolbiac
    https://www.youtube.com/watch?v=mEFXJboxU08

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    Réponses
    1. Merci du visionnage pas désagréable, épisode commenté par Marboeuf lui-même, au désenchantement idéologique et romantique assumé...
      https://www.youtube.com/watch?v=T-JMgyPJqXk
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2016/09/116-le-convoyeur.html

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