Barbet Schroeder, le pire et le meilleur
Suite à leur visionnage sur le site d’ARTE, retour sur trois titres de
l’auteur.
More (1969)
Pas d’autobiographie à la Pop Iggy
ici (I
Need
More),
le Floyd s’impose, en musique dite de source, of course. Pour son
premier long métrage un peu long, bien de son âge, Schroeder part en voyage,
emporte dans ses bagages le script
ironique de Paul Gégauff, la plume acide et drôle de Chabrol, aussi le
scénariste de Diaboliquement vôtre (Duvivier, 1967) et Frankenstein
90
(Alain Jessua, 1984), lui-même victime d’un homicide commis par sa dame, les
misogynes la condamnent, les féministes l’acclament. Quarante-six ans avant le
maternel et mémoriel Amnesia (2015), Barbet s’installe à
Ibiza, fuit la pluie, passe par Paris, topographie en autarcie un affreux
paradis, artificiel, cruel, cerné de seniors nazis. More (1969) par
conséquent prend acte du naufrage de la Nouvelle Vague, reflète À
bout de souffle (Godard, 1960) en mode hardcore, anticipe le désertique Antonioni à Zabriskie (Point,
1970), manie au Plein soleil (Clément, 1960, Highsmith à
la sauce Gégauff) des amants (im)mortels le « tempérament
germanique », « plaisir » inséparable de la
« tragédie », pardi. L’hôtel s’appelle Soleil noir et l’item se situe sous celui d’une mauvaise (Estelle)
étoile, d’une mélancolie à la Nerval, voire à la Bernanos. Avec sa voix off d’outre-tombe, style Sunset
Boulevard
(Wilder, 1950), sa destinée suicidaire désirée dès l’orée, en conclusion accomplie, le décrètent des
autorités aveugles et suspectes, ses branleurs baiseurs cambrioleurs, l’usage
sur le set de drogues plus ou moins
abjectes, encan de Bad Lieutenant (Ferrara, 1992), ce faux documentaire d’étouffant
plein air, de rapide hiver, en surface se soucie de sociologie, adresse une
démonstration de saison anti-addiction,
en profondeur sonde une dérive masculine, le couple en (dé)route, hédoniste et
destructeur, en écho à Tricheurs (1984). Au sein
rousseauiste et malsain d’un immaculé mausolée, l’ex-mathématicien et la désormais putain expérimentent les limites à
la Michaux, connaissent l’extase et l’exorcisme à la Huxley, s’embourbent à la
Burroughs. Tandis que le DP Almendros dessine en douceur ce dialogue atroce,
Barbet observe, amusé, attristé, une certaine jeunesse dépolitisée, en train de
se compromettre au contact des spectres et des pères du passé. Comparé au
pragmatisme amical et secourable du présent, voici Charlie, le romantisme oisif
et agressif ne peut conduite qu’au pire, comme si, à l’échelle de la chère
Mimsy Farmer, les États-Unis, alors de la fameuse French Connection colonie, sacrifiaient
au propre et au figuré une génération de Germanie de facto orpheline,
Herzog confirme. Don Quichotte dealeur, l’étudiant désarmant ne sait lire les
signes sinistres, crève sur le tunnel…
Tricheurs (1984)
Obsédé par une petite boule blanche,
Dutronc décroche illico le gros lot,
bienveillante et bien-aimée Bulle Ogier, bravo Barbet, elle porte le numéro
sept et lui porte chance, il croise encore, d’abord en trio, un Méphisto de casino.
Escorté de Kurt Raab & Peer Raben, célèbre paire de compères piqués à
Fassbinder, dommage pour Emmanuel Carrère (Hors d’atteinte ?), davantage
en dialogue avec Demy (La Baie des Anges, 1963) &
Chabrol (Rien ne va plus, 1997) plutôt qu’occupé à imaginer le
mélancolique Burt Reynolds (Banco, Dick Richards, 1986) ou le
moralisateur Brian De Palma (Snake Eyes,1998), à présager
l’agité Scorsese (Casino, 1995), Schroeder (re)dépeint donc une addiction, un microcosme à la More
(1969), in extremis achète un château en Espagne, pardon, à Annecy, le remet
aussitôt en jeu, à deux, coda cavalcade au bord du lac. Elric & Suzie, amis
pour la vie ? En tout cas amants amusants, le premier impuissant, à niquer
la nuit le sol à la Bertolucci (1900, 1976), à ne pas toucher une femme depuis des années, la seconde, idem
blonde, à l’opposé de la sombre Estelle de la mimi Mimsy (Farmer). Entre
construction d’Oscar Niemeyer et tension à la frontière, entre cigare et
désespoir, entre cosmopolitisme et solipsisme, le fils de régisseur, en sus
licencié, estime que l’existence manque de saveur, s’estime en définitive plus
heureux que ceux qui se croient contraints d’avoir un turbin, perdent leurs
journées en vérité, s’y épuisent, s’y enlisent. Mais vaut-il vraiment mieux
qu’eux, maso presque un peu maquereau, lui crache sa compagne en colère, quand
même complice de télécommande, caméo du dirlo photo Robby Müller en
« ingénieur » guère causeur, d’astuce en tandem dissimulée au sein d’un paquet de cigarettes, aussi vide que
les poches du fantoche. Tout fonctionne, tout déconne, après la
« poussette » suspecte, le mercure se fissure et le joueur invétéré,
par le naturel poussé, s’empresse de dépenser son fric pas si ludique, de
dispatcher ses « plaques » patraques. Le martyr de la
« martingale » rate le « Renard », décampe dare-dare,
retente sa chance, toujours en partance : puisque les capitalistes
esquivent le versatile, refusent le risque, si le gain paraît si malsain, la
perte retrouve et rend la beauté honnête…
La Vierge des tueurs (2000)
La comédie (mélo)dramatique, filmée
en numérique, tournée in situ, au casting local bienvenu, dut décevoir l’OTSI de Colombie et
refroidir les « hôtesses d’Air France ». Comme il commence au milieu
d’un claque de mecs, mineurs inclus, il atterrera les adeptes homos du
politiquement correct à gogo. Pas un brin burroughsiens, point pasoliniens, les
« garçons sauvages » de Vallejo, romancier, scénariste, assassinent
et se signent, ces « ragazzi » remplis d’une froide fureur ne
manquent de cœur, offrent même à leur mère, qu’ils aiment, en silence, en
absence, un flambant neuf réfrigérateur. Ceci ne suffit à les absoudre, à les
rédimer, à évacuer une culpabilité partagée, de la base jusqu’au sommet de la
société. Démuni du marxisme et du christianisme de Pier Paolo, de la sémiologie
et de l’imagerie de William, le réalisateur hétéro revient cette fois au pays
en souffrance de son enfance, l’écrivain cynique et sincère, au discours
suicidaire, sinon réactionnaire, athée désabusé, il gémit sa nostalgie, aux
affectueux et dangereux « petits », il fait des cadeaux à la con,
baisse le son, il soupire et sourit, déguisé en guide à la Dante de l’enfer
doux-amer de Medellin, « royaume de ce monde » que contaminent au quotidien
les règlements de comptes, une avide et vaine vendetta. Là-bas, la Callas ne
fait pas le poids, les taxis matraquent de la musique merdique, les motos
servent à fusiller à l’infini. Un vertige à la Vertigo (Hitchcock, 1958)
saisit soudain l’endeuillé pèlerin, toutefois l’affamé Wilmar ne remplace
l’attentif Alexis, à peine se substitue à lui, au lit, à la morgue, découverte via un plan en plongée à la De Palma, travelling à la verticale survolant
l’accueil et le bureau du commissariat. La Vierge des tueurs (2000) s’achève
sur un baisser de rideau aux allures de domestique tombeau, vive le silence,
adieu à la survivance. Sans une once de moralisme, de misérabilisme, le
cinéaste steadicame une moralité désenchantée, sur fond d’endémique misère, d’« état
de guerre ». Au creux du mondo cane, il convient d’éclater un clébard
cabossé, acte de pitié causant le trépas puis le tourment à propos de
l’adolescent, de l’amant. L’improbable couple privé d’entourloupe et d’avenir
reprend celui de More (1969) et de Tricheurs (1984), à chacun sa sienne
accoutumance, à la came, à la roulette, à la violence, à chacun son cercueil ou
sa seconde chance. « Hippie », « punk », cultivé, « enculé »,
croyant, au courant, tous finissent par succomber, prière pas respectée des
cadavres à ne jeter. Los olvidados (Buñuel, 1950)
se terminait sur un muchacho de décharge ; le tourisme nocturne, tendre et
rude, visualise un junkie
juvénile, au regard « terrifiant »,
métonymie d’opus pédéraste et de requiem blême…
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