Annette
Un métrage, une image : Poil de Carotte (1925)
En (re)découvrant, en version
restaurée, bravo à Lobster, la boîte de Bromberg, cette première transposition,
moins célèbre que celle avec le tandem
Baur & Lynen (Julien Duvivier, 1932), on ne peut pas ne pas penser à Visages
d’enfants (1925) de Jacques Feyer, d’ailleurs ici crédité co-scénariste,
autre conte de souffrance d’enfance, de ruralité portraiturée, (re)lisez-moi si
ça vous va. De plus on comprend, en un instant, pourquoi le cinéaste
s’autoremaka fissa, comme Hitchcock (L’Homme qui en savait trop, 1934 +
1956) : Poil de Carotte s’avère vite un opus aspirant à être parlant, chantant, à cancans, en très gros
plans. Duvivier y invente une variante du split
screen, via des miroirs mobiles, il fait apparaître les pensées de ses
personnages à l’aide de surimpressions de saison, qui participent d’un « réalisme
fantastique », amitiés à sa sienne Charrette fantôme (1939), elle-même
déjà à la suite de l’homonyme de Victor Sjöström (1921). Quant à la quasi coda de défaite fête foraine tout
sauf sereine, d’élection municipale molto bancale, elle évoque son homologue de
Panique
(1946). En résumé, ce joli récit d’une fameuse et maternelle maltraitance sise
en France renoue avec la veine et l’imagerie du mélodrame chrétien, illustrée
en mode muet selon Credo ou la Tragédie de Lourdes (1924), quel titre explicite, à
haute voix dans Golgotha (1935). Au terme du martyre domestique, voire
scatologique, je pense à l’épisode drolatique du pot de chambre machiavélique,
retrouvé bien après au creux de Compañeros (Álvaro Brechner, 2018),
apporté en prison, à son fiston, par une « mère courage » pas
d’occase, d’une chronique tragi-comique propice à fissurer l’édifice consacré
de la sacro-sainte famille en effet, ce lieu merveilleux, nauséeux, où l’on ne
choisit d’être réuni, « toit » sans quant-à-soi, refroidissant enfer
à rendre un gosse suicidaire, les Lepic père & fils ne serpentent plus sur
les chemins ardus de la perdition, ils arpentent ensemble celui de la
rédemption. Avant d’atteindre un sommet, de s’y reposer, de s’y confier, goût
de vivre regagné, confiance retissée, les hommes sombres et ensoleillés par
leur bonne bonne, chouette Annette, érotisme inoffensif d’une caresse alpestre,
passent près d’une croix de guingois, que le gamin, petit pendu rescapé, manque
de redresser, symbolisme discret pour paternité dessillée, enfin à partager. Notre
modernité médiocre et victimisée jugera misogyne la trame de Renard, son dolorisme
sexué exécuté par une mère amère, une sœur de peu de valeur, une Maria pas
sympa ? Duvivier s’en fout, nous itou, il donne une leçon de réalisation,
non de morale, de manichéisme, de sexisme. Presque centenaire, sincère, vivant,
vibrant, grave et léger, aéré, asphyxié, ni Loulou (Pabst, 1929) ni Marius
(Korda, 1931), Poil de Carotte ne prend la
flotte, se savoure, se sirote, ranime, magnanime, son casting ad hoc…
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