The Station : La Montagne magique


 « La montagne, ça vous gagne » – ou dégomme les hommes du réchauffement.


Un The Thing (John Carpenter, 1982) autrichien ? Moins et mieux : une surprise séduisante. S’il s’inscrit dans la tradition teutonne du film alpestre, salut bras dressé à Leni Riefenstahl, s’il se souvient de Alien (Ridley Scott, 1979) et L’Exorciste (William Friedkin, 1973), au cours d’un casque crânien, d’une réplique impliquant « un porteur à Pazuzu », The Station (2013) n’imite personne et possède sa propre personnalité pertinente. L’argument, dans l’air du temps, mélange micro-organismes montagnards et mutations monstrueuses. Le glacier ensanglanté, joli titre original, peut-être inspiré d’un phénomène sis en Antarctique similaire, dû au contact de l’oxygène et de l’oxyde de fer, engendre donc un bestiaire délétère, courant et volant. Ici, à 3 500 mètres d’altitude, au sein d’une station de recherche guère propice à la solitude, puisque peuplée de scientifiques, de politiques, de journalistes, d’un technicien et de son chien, on subit in situ le changement climatique, l’eschatologie écologique. Accessoirement, on transperce du mouflon muté à l’aide d’une foreuse vicieuse, tenue par la ministre thématique, pragmatique, plus tard improvisée chirurgienne, afin de sauver une malheureuse serveuse, contaminée par un faucon perfide. La confortable ascension promotionnelle se transforme fissa en survival d’edelweiss et les individualités, bien dessinées, finissent par tresser un opus choral. Le réalisateur croit au scénario qu’il ne signe pas, à l’excellente distribution qu’il dirige, il prend au sérieux chaque plan, composé en caméra fixe ou plus souvent en précise caméra portée. Cela ne l’empêche pas de ponctuer le huis clos en plein air d’une tonalité drolatique, banane hystérique incluse, de congédier la dimension catastrophique, tirade religieuse moralisatrice vite écourtée par le vrai-faux médecin au féminin serein, altruiste, déterminé, précité.

Pas de place pour les jérémiades, à peine pour le passé, à savoir un avortement récent vécu comme « la plus grosse erreur d’une vie ». The Station (2013), un tract pro-life doublé d’une charge contre la science, bien sûr sans conscience, obsédée par le secret, l’instinct de propriété, sous couvert de vouloir éviter la panique publique, médiatique, étatique ? Nein, bien que la coda, à la fois attendrissante et troublante, nous présente le couple reformé en train de couver un bébé accouché par un clébard aimé, blessé, euthanasié, remarquez les cordes à la Henryk Górecki, son ADN fusionné avec celui de son maître, amen. Tandis que le trauma semble guéri, que l’hélicoptère éloigne de l’enfer les rares rescapés, la cime, tout sauf magnanime, rougit à nouveau, en signe de rebondissement funeste, et une ultime créature peu clémente surgit de nulle part, agresse notre regard. Auparavant, un hybride de Jack Nicholson chez Kubrick (Shining, 1980) et de Robert De Niro chez Cimino (The Deer Hunter, 1978) essayait d’alerter les touristes, de les informer à propos d’un renard a priori enragé, tu parles. Déjà responsable de l’urbain, sympathique et davantage clautrophobique Berlin Undead (2010), autre histoire virale d’amour à ressusciter, d’humanité à sauver, écrite idem par Benjamin Hessler, Marvin Kren convainc constamment, en Scope, en Alexa, entremêle de manière habile l’organique et le numérique, les maquillages, les marionnettes, les images générées par ordinateur. Il délivre une œuvre évocatrice, adulte, dramatique et ludique, au générique en rouge, noir et blanc élégant, à la diégèse déployée sur une durée de deux journées, par conséquent pas le temps de s’ennuyer durant une heure trente.


Film de SF d’une brûlante actualité, pour ainsi dire, cf. l’inquiétant rapport du GIEC publié aujourd’hui, The Station fonctionne en outre comme fable physique isolée sur la solidarité, la maternité, la féminité. Secondé par l’adaptatrice Claudia Kolland, par sa propre mère ministérielle Brigitte, par la chanteuse-actrice Edita Malovčić, le cinéaste corrige en quelque sorte l’épilogue dépressif de The Thing, lui-même repris en mode ironique via le final enténébré de Los Angles 2013 (Carpenter, 1996). Il choisit le camp de la vie, peu importe sa forme, et son métrage, hommage à sa maman, épouse le mouvement de la modification, pour le pire et le meilleur. « Nous allons changer » affirme le carton d’introduction, mais l’existence se résume à ça, ou alors s’immobilise, se fossilise, se nostalgise. L’étrange optimisme de sa conclusion participe du charme modeste de cet ouvrage sincère, qui ne prend jamais les personnages ni les spectateurs pour des pantins, des crétins, qui s’autorise à l’émotion et divertit au moyen d’un avertissement hélas de saison.

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