Shooting Stars : La Clef
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre d’Anthony
Asquith & A. V. Bramble.
Des étoiles filantes, des étoiles qui
tournent, des étoiles qui tirent : le titre polysémique original de ce
métrage admirable résume l’intrigue, mais ne saurait suffire à signifier l’ampleur
de son effet sur le spectateur. On ne reviendra pas sur la révélation du
consécutif A Cottage on Dartmoor (1929), ni sur le pedigree vite esquissé du cinéaste. On se contentera de dire,
d’écrire, que Un drame au studio (1928), avatar univoque, procède déjà du
cinéma méta, du triangle amoureux, malheureux, qu’Asquith le dirige sous
l’égide du vétéran Bramble, débutant sidérant de maîtrise. Premier film, par
conséquent, et à sa manière modeste, constamment documentée, modelée de
justesse, un film définitivement grand. Shooting Stars débute par une mise
en abyme de western sentimental, par
un tournage en intérieurs qui déraille ; pour la prairie éprise, on
repassera. Le volatile s’envole et le couple bat de l’aile – majeure moralité :
ne jamais travailler avec sa moitié. Sur le plateau voisin, découvert en habile
travelling aérien, on bosse à du slapstick estival, belles baigneuses
singées sur Sennett + ersatz de Chaplin en prime, possible pique à un artiste
que suivit Asquith. Ici, on se fiche de l’Art, surtout du Septième, on donne
dans l’artisanat, le quotidien à la fois amusé, désenchanté, d’une pratique
encore muette, pourtant éloquente. Tous ces gens fabriquent du film au rythme du jazz, assez bien reconstitué-réinventé
par le spécialiste John Altman. Plus tard, des messages en surimpression
annonceront à la radio le vrai-faux trépas du comique sur cycle, sur sa plage joyeuse
et sa colline collective à La Fille de Ryan (David Lean, 1970).
Ensuite, le cri dupliqué de Mae, criminelle ligotée, saisie de remords, étonnante
d’authenticité insoupçonnée, de machiavélisme insoupçonnable, apparaîtra idem, en tailles progressives, ajustées
au volume de sa voix.
Un peu plus tôt, elle cherchait à
masquer les pas de son amant au moyen de musique à domicile. Importance du son
et du mouvement, donc, pour un récit ramassé, déroulé sur trois journées, avant
l’ellipse de l’épilogue. La vie imite l’art, selon Wilde Oscar, et Shooting
Stars miroite les situations, les émotions, mélange les régimes
d’images et de jeux. Annette Benson, Brian Aherne et Donald Calthrop, familier
d’Alfred Hitchcock, se dédoublent, actrice et acteurs de valeur interprétant des
interprètes, héros de trios narratifs à l’instar de leur réalité. Ils jouent
différemment sur et hors écran, l’expressivité fait place à l’économie. Lorsque
Julian, cinéphile puéril, gosse parmi des gosses, se délecte de ses aventures
de chevalier pur, de sauveur transposé, il conserve sa réserve. Lorsqu’il
assiste, surcadré, à la trahison de l’épouse, alliance retirée sur le set, de l’ami, fissa ressuscité, il
n’explose pas, il congédie l’intrus avec courtoisie, lui rend la clé de son
propre appartement. Attribuons cette discrétion en partie à la sensibilité
britannique, à la volonté de notre réalisateur de ne pas verser dans l’hystérie
rassie. Sous ses airs liminaires d’adultère en huis clos, de drame bourgeois à
la Bernstein, Henri, pas Leonard, revoyez Mélo (1986) d’Alain Resnais, Un
drame au studio devient au fil des scènes un film qui accumule celles
dites d’anthologie et formule un discours en actes à propos d’un milieu dépeint
avec une lucidité exemplaire. Asquith & Orton, son co-scénariste, ne
portraiturent pas des pantins, des mannequins, des aristos, des salauds, ils
croquent avec un esprit critique, romantique, une cohorte de personnages d’un
autre âge, que leur talent nous rend pleinement présents. Shooting Stars ne relève
pas de la nostalgie, de l’archéologie, du supposé cinéma en soi, délivre-moi de
la parole, et semblables stupidités d’autarcique mal luné.
Shooting Stars respire à chaque instant, pratique le
fondu au noir explicite, garçonnière éclairée par l’enseigne lumineuse, judicieuse,
de My
Man, et le double entendre de rigueur. La prise du plan équivaut à la chute de
l’amant, suspendu sur son lustre à la Sia, descendu pour de vrai tel Brandon
Lee sur le plateau de The Crow (Alex Proyas, 1994).
« One more shot, Mae, and you’re finished » dit l’alter ego d’Anthony à sa star au bord du désespoir, et la réplique
factuelle se leste d’un sens duel, sinon prophétique. Mae pensait pouvoir se
débarrasser de son mari en manipulant le fusil, puisqu’un tube de rouge à
lèvres innocent ressemble étrangement à une balle fatale, remember l’acception mortuaire de love letter en argot de
truand américain. En vérité, elle met un terme à sa carrière, à sa célébrité, à
son mariage-camouflage. « I wish life was more like the movies »
soupire Julian en contemplant la photographie de son bonheur parfait, trafiqué,
de surcroît à une époque de commères à la Hedda Hopper, de bienséance hypocrite
indisposée par le moindre scandale, alors imaginez une liaison suivie d’un
divorce, diantre. Mieux vaut simuler un accident, après avoir signé un contrat
d’exil aux USA, terre des opportunités pour entichés émancipés, tant pis pour
l’article six en étalon de politiquement correct anachronique. Dans l’ombre et
la lumière réalistes, stylisées, du tandem
Henry Harris, au générique de Une question de vie ou de mort (Michael
Powell & Emeric Pressburger, 1946), et Stanley Rodwell (A
Cottage on Dartmoor), se déroule une tragi-comédie jamais médiocre,
nombriliste, stérile, complaisante, épuisante. A contrario de La Nuit américaine (1973) du falot
François Truffaut, mec miro incapable de comprendre l’importance de la
cinématographie insulaire, réduite au seul Hitch, amen, Shooting Stars évite de prendre de pompeuses allures de
cathédrale triviale, voire partouzarde, merci au thème en mode Bach de Delerue.
Certes, il démystifie le ciné, le met
à distance en insider, cf. le zoom arrière puis avant de l’incipit, avec, hors-champ, son canasson
d’accessoire dérisoire, introduction reprise à l’identique, inversée, par la
conclusion des Trois Visages de la peur (1963) de Mario Bava, mais du même
élan démontre ses puissances, son intelligence. Un drame au studio brûle
d’une flamme et d’une foi dans le cinéma qui nous venge des innombrables
excréments déversés tous les mercredis sur nos rétines complices d’asservis, de
soumis, de terrassés par l’inertie. Vous voulez voir et savoir ce que vaut cet
art populaire, transfrontière, adulte, de tumultes, motion pictures, indeed ?
Ruez-vous sur la magnifique traînée de Shooting Stars, sur ses étoiles
mortes, pléonasme spéculaire, de ciel sur toile, d’église itou, décor de vie et
de mort dévoilé en écrin de coda. Mae revient sur les lieux du crime,
méconnaissable en figurante anonyme, sa persona
dépassée, oubliée, jadis surnommée en soleil. « Do you want me
anymore? » demande-t-elle à Julian, désormais leading director en surplomb, qui l’ignore, car plongé dans son shooting script à proximité de son porte-voix
vintage. Il lui répond non d’un geste
de la tête, ne la regarde pas, puis paraît la reconnaître, de dos, tandis
qu’elle s’en va, s’amenuise au sein des ténèbres du bâtiment obscur,
silencieux, désert. Au loin, perceptible à travers une profondeur de champ à la
Wyler ou Welles, elle ouvre une porte ou referme son tombeau. Cette scène
superbe, cruelle, bouleverse par son intensité, son intégrité, son ancrage
assumé dans le mélodrame professionnel, existentiel, parce qu’elle ne
s’assimile pas à une leçon de morale abjecte, adressée à la coupable infecte. Poignante
et cohérente, la fin de Shooting Stars, à la hauteur de
tout ce qui précède, le transcendant, se hissant sur les sommets du ciné, de ce
qu’il peut exprimer, faire ressentir, graphiquement, physiquement,
émotionnellement, paraphe la vision d’un véritable cinéaste, sa générosité
rigoureuse, douloureuse, et dialogue, dans un registre moins poétique,
cosmique, avec le lyrisme de Friedrich Wilhelm Murnau.
L’Aurore (1927) des films, des amours, des
miroirs ? Le crépuscule des déesses, des désillusions, des fantômes
réduits à néant par l’avènement du parlant, pauvrette Annette, et néanmoins
leur éphémère immortalité, leur souvenir revitalisé par votre serviteur, leur aura préservée, restaurée, à décrire, à
chérir, malgré une faute d’orthographe à Shakespeare, gag réutilisé par Cottage, en dépit de l’absence de rédemption,
dommage pour le cadre/simulacre ecclésiastique. Autrefois, Mae s’effondra à sa
fenêtre foutue, femme fragile de façade feinte. Aujourd’hui, elle hante les
cinémathèques, les sites de chaîne franco-allemande et les cœurs solitaires,
consœur esseulée de la Miss Lonelyhearts de Fenêtre sur cour
(Hitchcock, 1954), suprême métaphore mélancolique d’un média condamné à
l’embaumement et à l’amnésie, aux apparences et aux fulgurances, au strass et au dégueulasse, salut à Jean
Seberg. Chef-d’œuvre exhumé ? Film magique !
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