Knuckleball : Mon voisin le tueur
Ménage à trois ? Fugace effroi.
Un Shining (1980) matérialiste ?
Oui et non. Certes, Michael Peterson, réalisateur-scénariste polymorphe, formé
à la TV, emprunte au film de Stanley Kubrick son cadre de conte de fées défait,
tisse à son tour un survival
d’enfance, de résilience. Comme son célèbre modèle, Knuckleball (2018) débute
dans les airs, en voiture, en trio, à l’approche radio d’une tempête du siècle.
Il inclut en outre une batte de baseball,
le titre technique désignant d’ailleurs un lancer hasardeux, dénommé « balle
papillon », des apparitions fantomatiques, une contre-plongée à la
verticale iconique et des panoramiques identiques de défonçage de porte,
cellier au lieu de salle de bains, bien. N’oublions pas la femme flic occise,
en rime au cadavre du psychique Dick Hallorann, ni le fait annexe que Michael
Ironside représente, pour certains, un ersatz de Jack Nicholson. Tout ceci
établi, que reste-t-il d’original, dans cette œuvre hivernale, un peu vite
résumée en version sinistre de Home Alone (Chris Colombus,
1990) ? Il reste le ton, l’attention, la tension et un double secret de
famille, à faire davantage frissonner que le froid du Canada, site de récit et
de tournage. Suite au décès d’une cousine de sa mère, le jeunot Henry se
retrouve donc auprès de son rural grand-père, ses parents citadins, endeuillés,
disons sur le point de se séparer, partis en avion assister à l’enterrement. La
mort, le gosse la découvre sous la forme d’un chien congelé, puis de son papy
un matin refroidi, au lit, contraste de sucrerie country. Dixon, résidant à proximité, le rapatrie chez lui, prépare
une bonne soupe en boîte à la tomate, drogue son soda. Sur son PC portable, le fils illégitime, bâtard de Jacob, ne
collectionne pas les échelles, de préférence bibliques, non, il mate, on
suppose, du snuff movie, ou alors de l’horreur très
réaliste. Ici, l’atroce passe par le son, idem
pour l’assassinat de la policière, son crâne fracassé à distance et cependant
rapproché, enfoncé dans l’oreille du spectateur nocturne et casqué.
Se marrer face à une femme torturée,
pourquoi pas, crever un clébard par jalousie, aussi, abuser d’un gosse, encore
mieux, tu verras, promet-il, en le dénudant, au clone futé du Petit Poucet, amateur de jeux vidéo martiaux, progéniture
de sa demi-sœur et par conséquent son propre neveu, traité de « morveux ».
Au jeu cruel du chat et de la souris, Henry se démerde en maître, il maîtrise
l’escalier de la cave et l’incendie joli. Mais cela ne suffit pas et le climax se situe dans la grange, mon
ange, où la maman de Mary jadis se suicida, parce que sa fille lui confirma
l’indicible. Un adultère ? Une prisonnière, outrage au mariage depuis tout
ce temps retenu en cage, écho inconscient, délocalisé, à Dans ses yeux (Juan José
Campanella, 2009). S’ensuit un règlement de comptes à main armée, notre
nouvelle Médée butant son fiston et inversement. L’ultime scène nous montre
Henry, survivant guère assoiffé de sang, guère graine de tueur en série, tant
pis pour l’homonyme de John McNaughton (1990), en train d’apercevoir le spectre
de son grand-père sur un échafaudage, figure de proue infernale, en surplomb
d’un drame d’éducation, mené avec un classicisme de précision, bien porté par
l’acteur intense de Scanners (David Cronenberg, 1981), désormais massif, muni d’un
bouc blanchi, et l’ensemble de ses camarades, mention spéciale au mioche Luca
Villacis. Atmosphérique, climatique, économique, jamais pathétique, sens duel, Knuckleball
s’apprécie pour sa modestie, son soin, sa foi dans les pouvoirs du cinéma. Retenons
notamment un instant éloquent, muet, quand Mary, de profil, dans une chambre
d’hôtel, pas l’Overlook, se souvient, au ralenti, d’un oiseau, d’une corde,
d’une chaussure, belle démonstration en mineur de l’intériorité poétique permise
par un art mécanique, optique, politique, puisque la bien nommée « cellule
familiale » miroite l’ordre, sinon le désordre, social, cf. hier La
Nuit des morts-vivants (George A. Romero, 1968).
Ensuite demeure une énigme, peut-être
plus troublante et dérangeante que les soubassements concrets et abstraits du métrage
lui-même, de son architecture freudienne : que diable contiennent les VHS
de l’ancêtre, tout sauf honnête ? Le Max Renn de Vidéodrome (David
Cronenberg, 1983) ricane et le cinéphile aguerri, adulte, imagine le pire,
hors-champ glaçant, vrai venin de cet opus
prometteur, déjà plein, à la fois lucide et serein.
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